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PHILOSOPHIE par J. Llapasset

La représentation.  

 La représentation du peuple. 

Flaubert: L'Education sentimentale, troisième partie, chapitre 1, coll. Folio, page 317.

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Signalons que L'Éducation sentimentale peut être recommandée pour le thème de la représentation comme pour le thème de l'amitié

En effet, l'amitié apparaît comme ce qui précède, accompagne discrètement, et succède à l'action du roman. Pourtant, si on en croit Frédéric lui-même, elle n'est "Rien" (Folio, page 207). Ce Rien qui masque mal l'échec des deux vies reste le recours (un peu comme dans Bouvard et Pécuchet). D'où un problème: comment ce Rien peut-il être quelque chose?
Flaubert nous donne la solution: l'amitié s'enracine et prend forme par une sorte de pacte sur lequel on ne revient pas. Une foi jurée si l'on veut, cette expression marquant bien la faiblesse de la foi qui ne devient quelque chose que par une parole donnée. Sous l'apparence d'une similitude de destin (les deux amis échouent l'un dans l'ambition, l'autre dans l'amour) tout distingue Frédéric et Deslauriers au point que sans la foi jurée, ils ne seraient rien l'un pour l'autre.
Que l'amitié demeure à la fin du roman ne signifie pas qu'elle est une réalité, qu'elle soit plus qu'un effort de volonté car, précisément, elle régresse vers le passé contemporain du pacte qui n'est plus. De plus, c'est le passé d'un échec dans leur tentative de satisfaire un désir et leur reculade devant la maison close. On peut se demander si l'Éducation sentimentale ne cherche pas à dénoncer ceux qui préfèrent leurs sentiments donnés à l'action qui réalise par une conquête. Il y aurait donc une répétition de l'échec pour les deux amis, représentation de l'échec que mettra en scène Flaubert dans Bouvard et Pécuchet. La similitude entre les deux amis n'a donc aucune positivité, c'est la similitude d'une absence.
Malraux viendra rappeler au début du XX è siècle, dans une oeuvre magistrale (Les conquérants, La voie royale, La condition humaine, L'Espoir) que l'analyse et l'action ne sauraient être séparées pour celui qui veut réussir. Reste que, avec L'Éducation sentimentale, c'est l'histoire qui disparaît car l'échec est inscrit dans le sentiment qui n'est pas repris par une volonté créatrice de soi par soi.

Une reprise de la représentation par Victor Hugo du "peuple océan" mais avec, contre le romantisme, une volonté délibérée de détruire le mythe.

Tout à coup la Marseillaise retentit. Hussonnet et Frédéric se penchèrent sur la rampe. C'était le peuple. Il se précipita dans l'escalier, en secouant à flots vertigineux des têtes nues, des casques, des bonnets rouges, des baïonnettes et des épaules, si impétueusement que des gens disparaissaient dans cette masse grouillante qui montait toujours, comme un fleuve refoulé par une marée d'équinoxe, avec un long mugissement, sous une impulsion irrésistible. En haut, elle se répandit, et le chant tomba.
On n'entendait plus que les piétinements de tous les souliers, avec le clapotement des voix. La foule inoffensive se contentait de regarder. Mais, de temps à autre, un coude trop à l'étroit enfonçait une vitre; ou bien un vase, une statuette déroulait d'une console, par terre. Les boiseries pressées craquaient. Tous les visages étaient rouges, la sueur en coulait à larges gouttes; Hussonnet fit cette remarque :
  - Les héros ne sentent pas bon!
  - Ah ! vous êtes agaçant, reprit Frédéric.
Et poussés malgré eux, ils entrèrent dans un appartement où s'étendait, au plafond, un dais de velours rouge. Sur le trône, en dessous, était assis un prolétaire à barbe noire, la chemise entr'ouverte, l'air hilare et stupide comme un magot. D'autres gravissaient l'estrade pour s'asseoir à sa place.
  - Quel mythe! dit Hussonnet. Voilà le peuple souverain!
Le fauteuil fut enlevé à bout de bras, et traversa toute la salle en se balançant.
  - Saprelotte ! comme il chaloupe! Le vaisseau de l'État est ballotté sur une mer orageuse! Cancane-t-il ! cancane-t-il !
On l'avait approché d'une fenêtre, et, au milieu des sifflets, on le lança.
  - Pauvre vieux ! dit Hussonnet, en le voyant tomber dans le jardin, où il fut repris vivement pour être promené ensuite jusqu'à la Bastille, et brûlé.
Alors, une joie frénétique éclata, comme si, à la place du trône, un avenir de bonheur illimité avait paru; et le peuple, moins par vengeance que pour affirmer sa possession, brisa, lacéra les glaces et les rideaux, les lustres, les flambeaux, les tables, les chaises, les tabourets, tous les meubles, jusqu'à des albums de dessins, jusqu'à des corbeilles de tapisserie. Puisqu'on était victorieux, ne fallait-il pas s'amuser!

Bien suivre la métaphore filée (le fleuve, la marée, le mugissement, les flots vertigineux, le reflux (tomba) et le vaisseau de l'Etat) qui concourt à rappeler une épopée et par là donne un caractère épique à la représentation.

La mise à mort d'un mythe.

Étudier la représentation du peuple dans le réalisme subjectif c'est se donner l'avantage de "la" pousser dans ses derniers retranchements pour mesurer et limiter toute prétention à l'objectivité: c'est faire apparaître définitivement que le concret n'est tel que par l'abstrait, que toute représentation est construite par l'observateur, que la représentation du peuple à travers Frédéric et Hussonnet n'est que le regard désabusé de Flaubert rendu sensible par la perfection de son texte.
Et, en effet, quelle représentation?

a) Aspect visuel: le peuple n'est qu'un grand corps formé de multiples corps indistincts. "Des têtes, des épaules, des souliers." L'individu qui émerge est désigné par la pilosité (barbe, chemise entrouverte...).

b) Aspect olfactif: des odeurs, "Les héros ne sentent pas bon!".

c) Aspect auditif: c'est un grand animal qui fait entendre un "long mugissement", métaphore qui évoque le fleuve, l'océan, mais aussi les ruminants qui ne savent que répéter.

Quel est le comportement du peuple? C'est un enfant qui veut jouer, mais que, la vue de la violence, de l'exercice de sa puissance, enivre au point de confondre jeu et vandalisme. L'enfant innocent devient un sauvage qui détruit tout ce qu'il ne comprend pas avec une sorte de minutie imbécile marquée par "jusqu'à ... jusqu'à..." 
N'ayant pas de culture, il croit détruire le pouvoir en détruisant la beauté. C'est un pauvre d'esprit qui croit non seulement pouvoir jouer, alors qu'une révolution est chose sérieuse, mais encore que la disparition d'un symbole (le trône) entraînera la disparition du pouvoir: incapable d'inventer une action, il ne peut que répéter l'histoire de façon dérisoire en allant brûler un fauteuil sur la place de la Bastille. Enfin et surtout, il se rassure avec des opinions c'est à dire avec les formes vides (sans contenu) d'un raisonnement hypothético-déductif: 

"Puisqu'on était victorieux, ne fallait-il pas s'amuser!"

Cette représentation du peuple qui se présente comme toute représentation sensible comme ce qui est vu, ce qui est entendu, ce qui est senti est modelée par des "jugements" sur cette foule qui s'amuse du vandalisme, qui détruit irrémédiablement la beauté, qui n'est composée que d'individus vulgaires, ivres de leurs forces réunies: représentation du peuple imprégnée par la distance que prennent Frédéric, Hussonnet (entraînés malgré eux) et leur créateur Flaubert.

  • Voici quelques pistes de travail pour devenir l'auteur de son savoir.

Étudier la représentation du peuple par Jean Jaurès  (*ouverture en nouvelle fenêtre) en se demandant quels sont les points de convergence et s'il y a vraiment une distance entre les deux représentations.

Même exercice pour un texte de Victor Hugo (Notre Dame de Paris?) ou de Malraux dans La condition humaine.

Dans tous les cas, il est possible de mettre en évidence les jugements implicites des auteurs qui modèlent la représentation en fonction de leur conception et de leur volonté au point que Ramon Fernandez écrit dans le journal Marianne du 13 Décembre 1933, que "sa volonté d'écrire (d'André Malraux), de faire, devient sensible." La pensée ne fait plus qu'un avec la puissance de l'évocation comme si la représentation littéraire était capable de réconcilier l'analyse et l'action.

Joseph Llapasset

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