UN
STYLE DE TRAVAIL
Mais
l’enseignement que Lacan donnait ainsi chaque semaine ne pouvait suffire
à assurer la transmission de la psychanalyse. En effet, clinicien qu’il
était avant tout, il savait d’expérience combien pèse le poids des institutions
sur un individu, et comment une bureaucratie peut étouffer un message
en lui enlevant tout tranchant et décourager le goût de la recherche en
neutralisant des travailleurs décidés.
C’est
ainsi qu’il dut quitter en 1953 la Société psychanalytique de Paris,
dont il était le président, en raison de tracasseries administratives
et de réglementations arbitraires qui mettaient en cause la pleine
responsabilité de l’analyste dans son enseignement et dans sa pratique.
Lacan se joignit à quelques collègues dans une nouvelle institution la
Société française de psychanalyse, où le suivirent ses élèves. Mais
cette fois ce fut l’I.P.A. (Association psychanalytique internationale)
qui posa comme condition à l’affiliation internationale de cette
nouvelle société la proscription de Lacan, en son enseignement et sa
pratique, ce qu’en d’autres lieux on appelle une excommunication
majeure. En 1964, acculé à frayer seul son chemin, Lacan fonde alors
pour ses élèves l’École freudienne de Paris, afin de tenter de résoudre
enfin le problème qui est au cœur du mouvement analytique depuis son
origine celui de la formation de l’analyste.
Pas
un nouvel analyste, en effet, sans le processus qu’on appelle une
analyse didactique, d’où naît chez l’analysant en fin de parcours
le-désir-de-l’analyste désir spécifique qui relève d’une éthique
et ne peut être de l’ordre de la promotion sociale du psychologue, ni
de la satisfaction du psychiatre de mieux comprendre ses patients.
Qu’en est-il donc de cette transmission d’an psychanalyste qui l’est
à un autre qui le devient ?
Les
institutions analytiques qui prétendent garantir cette transmission
n’ont pas pu encore définir la n didactique
quant aux
remaniements qu’on en attend pour le sujet. C’est affaire de bon sens
et donc d’opinion. Mais mille opinions ne font pas un savoir. Tel est le
paradoxe les analyses dites thérapeutiques ont une efficience certaine en
ce qui relève proprement de l’inconscient ;
mais pour les « didactiques n. pourtant nécessaires depuis Freud, il
y a piétinement quant au résultat.
Lacan
a voulu lever le voile sur cette misère cachée en mettant au fondement
de son école une proposition de recherche sur ce moment particulier
qu’est la fin d’une «didactique». Cette proposition du 9 octobre
1967 dépasse en son dessein le cadre où elle s’inscrit, et touche
toute institution, scolaire, universitaire, professionnelle, religieuse ou
autre, dans la mesure où celle-ci a souci de savoir ce qu’elle
transmet.
Sa
procédure est simple «Çà consiste à ce que, au point où quelqu’un
se considère assez préparé pour oser être analyste, il puisse dire à
quelqu’un de sa propre génération, un pair — pas son maître ou un
pseudo-maître —, ce qui lui a donné le nerf de recevoir des gens au
nom de l’analyse».
Ce pair,
au nombre de deux, en témoigne ensuite à un groupe de travail (le jury
d’agrément) chargé d’en recueillir l’expérience et d’en
communiquer à tous les résultats.
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