POUR
UNE ETHIQUE
Mais ces précisions ne trouvent leur place et leur intérêt qu'en fonction de leur enjeu qui est d'ordre essentiellement éthique. Nous avons vu la nécessité de la loi oedipienne en raison de l'absence du rapport sexuel entre homme et femme. Cette nécessité détermine l'éthique même de la psychanalyse. Or, celle-ci ne peut s'identifier à l'éthique traditionnelle, qui ordonne les relations humaines selon un discours sur le bien à accomplir.
Qu'en est-il de ce discours?
Qu'il s'agisse de l'amitié selon les Anciens (Aristote ou Cicéron), de l'amour du prochain, ou de la politique moderne de la répartition du maximum de biens pour le plus grand nombre possible, chaque fois le but visé est de se mettre au service du bien et des biens d'autrui et de soi-même, dans sa vie privée et publique. Non pas autrui ou soi-même, puisque l'autre est à mon image je veux pour mon prochain ce que je voudrais pour moi dans la même situation la moitié de son manteau que saint Martin donne à un
pauvre est la même que l’autre moitié. Telle est la force de cette éthique.
Son
envers, qui n’en a été un jour troublé, lorsqu’il s’est rendu
compte que l’autre ne veut pas son propre bien, celui que j’estime
ainsi pour lui il se précipite en son contraire. Freud appelle cela
pudiquement «réaction thérapeutique négative». Je rencontre la
malignité de l’Autre en son altérité, au-delà de ce que
j’imaginais de lui.., à mon image Moment d’angoisse que suis-je donc
pour lui?
Et voilà qu’à mon tour je me découvre méchant et persécuteur, voulant
le bien de l’Autre malgré lui ! On voit poindre là, avec la paranoïa
humaine et sa courageuse indignation devant le désordre du monde, la limite
de cette éthique du discours sur le bien.
En
effet, celle-ci n’est pas à oublier, mais à relativiser en ceci le
fraternel velle bonum alicui (vouloir le bien d’autrui) est hors-sexe, et
laisse en plan le non-rapport sexuel. Mais, au-delà du bon et du méchant
en l’Autre comme en moi, il y
a du non-représentable, il y a un vide lieu du désir inconnu, d’où
peut s’originer une autre éthique, celle de la loi oedipienne du désir.
Sans
celle-ci, l’amour se réduit à un sage partage d’intérêts bien
compris ou s’exalte en la passion d’être nécessaire à l’Autre et
de ne pas lui manquer, ceci au nom de son bien et de sa jouissance présente
ou future.
Parler
de son origine nécessiterait de plus amples développements à partir
de ce que nous avons présenté sur la paternité et sur la loi.
Disons
brièvement le désir ne naît pas de l’amour et de sa loi ;
c’est certes étonnant, attristant et même choquant d’avoir à
s’y résoudre, mais l’amour de bienveillance ne mène pas de lui-même
au désir. Par contre, le désir ne l’exclut pas si la chance vient nous
sourire, cette éthique, en faisant surgir la signification de l’amour,
le sauve par sa limite même, qui le rend vivable en sa tendresse, sa
discrétion et son à-propos.
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