LIRE
FREUD LUI-MÊME
A
partir des années trente, la psychanalyse en son enseignement oral et
écrit s’est complexifiée en des rajouts indéfinis, opacifiée en des
concepts flous, et diversifiée en des tactiques de lutte contre les
"résistances" attribuées à l’analysant techniques dont la
dernière née serait la meilleure. La psychanalyse se ravalait peu à peu
au rang d’un chapitre de la psychologie générale ou d’une suggestion
psychothérapique. Un bilinguisme s’accentuait entre une théorie
scolastique et une pratique empirique.
Le
premier geste de Lacan fut de coup de balai, pour retrouver la droite
ligne de la découverte de Freud par une lecture
de ses textes en leur inédit et leur surprise. Ne suffit-il pas de les
lire pour s’apercevoir qu’il ne s’agit que de langage dans ce que
Freud découvre de l’inconscient ? Ce que la théorie épingle de termes
comme résistance, transfert, identification, castration, etc.,
ressortit d’un discours marqué d’une véritable stylistique. En
effet, la description même de Freud est au service d’effets de
structure qui ne relèvent que du langage. C’est de là que les textes
de Freud prennent consistance — celle même de la psychanalyse. La
mettre en évidence n’est pas chercher à avoir raison contre d’autres
lectures, mais permettre de se faire un jugement, textes en main, en se
soumettant aux exigences de la communicabilité scientifique.
L’important
est d’en voir l’enjeu que les formations de l’inconscient sont du déchiffrable
; ces formations — symptômes,
rêves, actes manqués, mots d’esprit —
sont un chiffrage à déchiffrer, qui inscrit
un ratage, un dérapage, une bévue. De quoi donc ? De ce qui concerne
le sexe. Il y a du fiasco en tant qu’il y a du sexuel dans tout acte
humain. Ou, à dire autrement entre homme et femme, çà ne marche pas — ce que Lacan formule en cet énoncé « Il n’y a pas de
rapport sexuel. »
Cela
ne veut pas dire qu’il n’y a pas de relations sexuelles, génitalement
parlant, Dieu merci ! En effet, la fonction de la reproduction, qui ne
l’admettrait au plan biologique ? L’objection est autre il n’y a
rien dans le psychisme qui puisse représenter la différence sexuelle,
rien en lui par quoi chacun puisse se situer soit comme homme, soit comme
femme.
Serait-ce
l’opposition activité-passivité? Elle ne coïncide nullement avec
l’opposition masculin-féminin. Serait-ce que chacun est la <o moitié
>s de l’autre, de sorte que de deux ils fassent un
? Mais, il n’y a rien qui permette de dire en
quoi chacun serait le complément qui manque à l’autre.
Bref,
entre eux deux il n’y a pas de rapport qui puisse se déduire de
la sexualité même, un rapport au sens mathématique du terme, tel
que F = X—>Y. Pour l’écrire, il faudrait pouvoir définir un
ensemble X représentant la jouissance de tous les hommes, et un ensemble
Y représentant la jouissance de toutes les femmes, puis la relation qui
relie chaque élément de X à l’élément associé de Y.
Or,
cette écriture est impossible. Il n’y a pas de maturation «instinctuelle»,
pas de finalité immanente à la sexualité et inscrite en elle, qui
permettrait à chacun des deux sexes de trouver en l’autre son objet et
son but. C’est le règne de la vicissitude, de l’aventure Schicksal,
dit Freud.
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