Le progrès
ininterrompu de la science et de la technologie a introduit un nouveau
discours qui détermine de plus en plus la vie de tout un chacun de sa
naissance à sa mort. Il universalise le sujet qui en découle, et produit
par là un profond remaniement des hiérarchies sociales. Il déracine
l’individu en l’uniformisant, tout en le rendant solidaire du moindre
événement de la planète, au nom du seul savoir qui soit à la fois
universel et cumulatif. Il lui apprend à douter de ses propres
intuitions, qu’il s’agisse de celles de la mère devant son enfant à
nourrir et à soigner, ou de celle de l’homme politique devant un peuple
à convaincre nous ne sommes plus au temps de Thémistocle
Or, à
l’inverse de cet effet manifeste, voilà que le discours de la science
provoque en réaction une ségrégation
de plus en plus sévère entre les êtres humains d’aujourd’hui,
voulant sauver leur narcissisme contre ceux, proches ou lointains,
qu’ils croient vouloir le contester. De là naît l’impératif de
devoir sacrifier ces autres,
pour que soit promu, le plus souvent à la suite d’un laeder, tel
trait âprement chéri. Cet étrange impératif soutient les luttes dites
de classe, de génération et bien d’autres, dont la dernière en date
n’est pas la moindre en sa rigueur, la lutte des sexes:
Il
est quelque chose de profondément masqué dans la critique de
l’histoire que nous avons vécue. C’est, présentifiant les formes les
plus monstrueuses et prétendues dépassées de l’holocauste, le drame
du nazisme.
Je
tiens qu’aucun sens de l’histoire, fondé sur les prémisses
hégéliano-marxistes,
n’est capable de rendre compte de cette résurgence, par quoi il
s’avère que l’offrande à des dieux obscurs d’un objet de sacrifice
est quelque chose à quoi peu de sujets peuvent ne pas succomber, dans une
monstrueuse capture.
L’ignorance, l’indifférence, le détournement du regard, peut
expliquer sous quel voile reste encore caché ce mystère.
Lacan très
tôt a discerné là notre folie d’homme moderne en tant que sujet de la
science ; et il a vu dans la psychanalyse freudienne, non pas le confort
et réconfort du Moi, ni un supplément d’âme, mais le lieu où puisse
opérer ce sujet même, disant son égarement dans son rapport au langage.
Cet égarement
vient de ce que le langage que l’être humain habite parasite son
existence sous la forme d’interprétations itératives et de convictions
inébranlables qui l’encombrent. Çà pense tout seul, suivant un enchaînement
extrêmement logique, sans qu’aucun sujet ne puisse se nommer comme étant
ce qui parle. Lacan était sensible au fait que la folie est une errance
de fils et de filles issus de pères qui ont perdu les pédales, et que,
pour relativiser quelque peu cette errance, la voie à suivre était de se
faire dupe de son inconscient de la bonne façon. C’est en effet par
l’inconscient et ses traces qu une transmission s’opère dans le réel. En ce sens, Lacan était un
homme de tradition, prenant le progrès pour une illusion de perspective,
et constatant dans l’après-coup que ce que l’on gagne d’un côté,
on le perd de l’autre: c’est la condition!
Homme de
tradition — et en cela même pas conservateur du tout —, il va être
amené à dépenser son courage, accompagné de sa gaieté naturelle, à
la transmission de la psychanalyse. Il le fit de deux
manières en renouant le fil avec Freud par delà le freudisme, et
en instituant un nouveau style de travail entre psychanalystes.
Autrement dit par une rénovation de la doctrine et de l’institution
analytiques
— double frayage dont nous allons décrire quelques aspects
essentiels.
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