Le 10
Septembre 1981 mourait à Paris Jacques Lacan, celui que certains ont dénommé
le Freud français. Sans doute, maintenant, peut-on dire un peu moins
maladroitement quelle fut sa place à l’intérieur du mouvement
psychanalytique né de Freud, et au-delà dans le champ de la culture.
Précisons
d’emblée qu’il ne s’agit pas ici de faire un bilan. En effet, son
action est encore devant nous son enseignement continu de 1953
à 1979 reste en grande partie inédit; et par ailleurs, peu nombreux
furent ceux qui le suivirent du début à la fin la plupart de ses
auditeurs privilégièrent tour à tour tel ou tel moment de son
enseignement, au point même où chacun fut touché de façon décisive.
Ces quelques pages se présentent donc plutôt comme un témoignage
portant sur quelques traits particulièrement frappants, par lesquels
Jacques Lacan marqua la psychanalyse freudienne.
Lacan est
devenu psychanalyste à trente-cinq ans. Comme pour chaque événement
important de son existence de quatre-vingts ans — enseignement,
publication, notoriété, fondation de son École, dissolution de celle-ci
il y arrive sur le tard. Selon son dire, ce qui au départ le préoccupait,
c’était l’idée que les relations entre homme et femme sont à la source de ce qui chez
l’être humain se trouve être de l’ordre du ratage, de l’acte manqué
et d’un mal à l’aise dans la civilisation. Ainsi, il fait des études
de médecine, puis de psychiatrie, pour rencontrer dans divers services
asilaires ceux et celles qui de ce ratage souffrent tout particulièrement
sous la forme de cette faillite qu’on appelle la folie.
Il écrit
en 1932 sa thèse de médecine, De la
psychose paranoïa que dans ses rapports avec la personnalité, qu’il
dédie à son frère Marc-François, bénédictin. C’est là, dans la présentation
du cas Aimée et dans des articles de cette époque, que s’affirme son
souci de comprendre la signification de la paranoïa, et que s’impose à
lui l’importance du Moi, pris comme image narcissique en dépendance étroite
de l’image de l’autre, mon semblable du même sexe, à la fois aimé
et haï image fascinante en tel trait que j’aspire à être, et en même
temps mortifère en ce qu’elle nie la mienne. Conflit sans stase ni résolution
en ceci même que l’ego ne se soutient narcissiquement que de l’alter ego qui pourtant le conteste.
Telle est,
par la lecture de la folie, la première rencontre de Lacan avec le
freudisme; avec le Freud de la deuxième topique, dans la mesure où le
Moi s’y définit comme « surface s> de l’image du corps propre,
à la fois forme imaginaire et valeur libidinale, et non comme sujet de la
connaissance et principe de la synthèse perception-conscience.
En 1936, au Congrès de Marienbad,
Lacan, jeune psychanalyste, promeut l’origine du Moi dans une communication
sur la phase du miroir si l’enfant peut un jour se reconnaître dans un
miroir entre six et dix-huit mois, c’est plus radicalement parce qu’il
se voit d’abord comme totalité unifiée dans l’image de l’autre
faisant fonction de miroir, image anticipatrice de son Moi et lieu de ses
identifications ultérieures. Ainsi, l’imago
chez l’être humain est un effet d’aliénation ; c’est en tant
qu’aliéné que le sujet s’identifie et s’éprouve d’abord lui-même,
ce qui permettra à Lacan d’écrire en son style inimitable
.
Le risque
de la folie se mesure à l’attrait même des identifications où
l’homme engage à la fois sa vérité et son être.
Loin donc
que la folie soit le fait contingent des fragilités de son organisme,
elle est la virtualité permanente d’une faille ouverte dans son
essence.
Loin
qu’elle soit pour la liberté "une
insulte", elle est sa plus fidèle compagne, elle suit son mouvement comme une
ombre.
Et
l’être de l’homme, non seulement ne peut être compris sans la folie,
mais il ne serait pas l’être de l’homme s’il ne portait en lui la
folie comme la limite de sa liberté.
Ces
graves accents pascaliens témoignent de son inquiétude sur la société
occidentale. Né en 1901, Lacan fait partie de cette génération dont la
jeunesse s’ouvre sur le drame issu de la première guerre mondiale,
celui de la montée croissante du nazisme phénomène imprévu et
toujours actuel, qui échappe aux analyses de la seule contradiction
capitalisme-communisme et les bouleverse. Comment le saisir?
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