° Rubrique  Revue Pole-international > Comédie du livre

Dai Sijié. 

Balzac et la Petite Tailleuse Chinoise.
   

N.R.F. Gallimard. Paris, janvier 2000.

En Chine, du temps de Mao.

Au sortir de leurs études, deux jeunes gens sont envoyés en "rééducation" dans un village de montagne perdu aux confins du Tibet. Cette étape obligatoire de leur formation civique risque de durer des années du fait qu'ils appartiennent tous deux au milieu éminemment suspect des intellectuels.

   La vie est rude pour ces citadins, qui, sans se plaindre de l'inconfort, ni rechigner devant la besogne, souffrent de l'isolement et du manque de ressources culturelles. Malgré l'amitié qui les lie depuis l'enfance, ils tombent parfois dans le désespoir.

   Leur morne existence prend un intérêt nouveau, lorsqu'ils rencontrent la jolie couturière du village voisin, et lorsqu'ils découvrent une valise pleine de livres interdits chez un camarade en rééducation comme eux.

   La lecture des romanciers occidentaux du XIX° siècle les entraîne dans une aventure exaltante et dangereuse. Ils entrent dans un monde sensuel et raffiné qui transforme leur vision de la vie, et enchante leur entourage par les récits qu'ils en font.

   On voit vivre ici une humanité simple et attachante, les paysans, qu'on éblouit facilement, parce qu'ils ne connaissent que leur coin de terre et Mao, le chef de village qui a un faible pour le cinéma, le vieux meunier plein de puces, qui chante des histoires grivoises, la poétesse élégante, qui dorlote son grand nigaud de fils, l'infatigable tailleur, qui se passionne pour les aventures du comte de Monte Christo, le médecin, que le nom de Balzac rend soudain attentif à une requête, les garçons du village, jaloux et révoltés des privautés accordées à un étranger par une fille de chez eux, le pasteur mourant, à qui ses fils essaient d'arracher un mot de soumission à Mao et qui s'éteint en murmurant une dernière prière...

   Dans les scènes familières d'assemblées, de labour ou de portage, dans les sentiers glissants et les à pic vertigineux où circulent les deux amis, on croit retrouver le trait ferme et les paysages grandioses des estampes chinoises exposées l'an dernier au Grand Palais...

   Sans discours ni jugements, la Chine maoïste nous est suggérée par des faits quotidiens ou de brèves allusions. On voit la misère des services publics dans les rues, les écoles, les hôpitaux...

   On devine la tyrannie idéologique dans l'admiration inconditionnelle pour le Grand Maître etl'autorité soupçonneuse de petits chefs incompétents, dans la jalousie obtuse des foules, dans la crainte toujours latente de l'arrestation et de la torture, dans les manigances, les interdits, l'arbitraire, l'absurde... (Curieusement, la destruction finale par les deux amis des romans qu'ils avaient si passionnément aimés semblera rendre justice à la sévérité du Grand Timonier, qui condamnait l'effet pervers des oeuvres occidentales!)

   Dans ce roman excellent où l'humour empêche de s'attarder sur l'émotion ou la tristesse, on s'amuse souvent et on ne s'ennuie jamais.

Présentation de Jacqueline Masson

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