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PHILOSOPHIE par J. Llapasset

La NatureIntroduction
(Cours préparation à l'agrégation de philosophie par Monique Dixsaut, 1987)

PLATON, Timée 51 b6 - 52 d2

- Introduction -
- Première partie -
- Deuxième partie - Conclusion  

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S'il n'y a pas de Feu en soi, le feu sensible n'est qu'une qualité évanescente, et le nom ne recouvre que la similitude apparente d' une diversité de manifestations.

Mais cette similitude permet de "s’y reconnaître" et de poser du même coup des dissemblances apparentes. Le devenir incessant n'exclut pas que l'opinion accompagnée de sensation puisse saisir des régularités (les prisonniers de la Caverne perçoivent des ressemblances et des dissemblances et sont aussi capables de prévoir qu'une ombre va succéder à une autre: Rep. VII). En ce qu'elle est capable de discerner des qualités, de les associer, de les identifier, l'opinion perçoit et pense conformément à ce qu'elle perçoit; elle est, en ce sens, vraie . Car ce n'est pas le corps qui perçoit mais bien l'opinion au moyen du corps et des sensations qu'il lui procure. Or ce qui caractérise l'opinion, c'est la mémoire et l'anticipation (voir Théétète), mémoire et anticipation empiriques qui permettent que, même au sein de l'opinable et du sensible, il y ait une espèce de certitude, de conviction (distis). L’opinion vraie confère une espèce de solidité aux phénomènes sensibles, et elle n'est pas un plus mauvais guide que le savoir pour la pratique. Il n'est donc pas nécessaire de poser des Idées si l'on veut simplement s'orienter dans le monde sensible: l’opinion vraie pose des objets singuliers, des ressemblances et des dissemblances, des règles empiriques, auxquelles on peut en gros se fier (c'est Thalès et non pas la servante qui tombe dans le puits).

Mais l'opinion vraie tient les objets qu'elle perçoit pour réels, pour existant en soi, et surtout pour les seuls objets existants. C'est pour elle que la position d'un Feu en soi intelligible doublant le feu sensible se réduit à n'être qu'un discours vide et une hypothèse inutile. Si la vérité est propriété de l'opinion, et si ce que l'opinion saisit par le moyen du corps sont les seuls êtres véritables, alors les Idées n'ont qu'une existence "logique", ce sont de simples concepts institués par un discours incapable d'atteindre la vérité des choses, d’être un discours vrai.

C'est pourquoi la question de savoir s'il faut ou non poser une espèce d'être différent des êtres sensibles ne peut se résoudre par un logos, un raisonnement, aussi développé soit-il. Un tel raisonnement serait de toute façon "accessoire" (parergon: littéralement : hors d’œuvre, hors de l'oeuvre, de la tâche propre au dialogue) en ce qu'il impliquerait de sortir de la modalité du vraisemblable qui caractérisé tout le discours tenu par Timée. Les considérations rhétoriques de longueur et de brièveté (rejetées par Platon dans le Phèdre) sont pertinentes en ce qu'il s'agit de réfuter non pas la longueur d'une digression mais la sortie d'un type de discours. De plus, un discours raisonné ne ferait que démontrer logiquement des existences logiques: dans la perspective de l'opinion vraie, l'affirmation ou la négation des réalités intelligibles sera encore une opinion. Il ne convient pourtant pas de laisser la question "sans jugement", sans krisis. Si l'on peut opérer une délimitation (horos), circonscrire le problème en peu de mots, on aura alors un critère permettant de décider, d’accorder son suffrage.

La délimitation consiste à médiatiser la question: l'hypothèse des Formes relève d'une hypothèse plus haute, celle de la différence entre la science et l’opinion vraie. Mais la négation de cette différence est précisément constitutive de l'opinion: la différence ne lui apparaît (phainetai) pas. Quand elle croit que ses objets sont les plus certains, l'opinion peut être vraie, c’est-à-dire énoncer des jugements conformes à ce qui semble être, mais il ne peut pas y avoir de vérité de l'opinion. C'est le savoir de cette non-vérité de l'opinion vraie qui est constitutive de la science qui ne sait que sa différence d'avec l'opinion vraie. Cette différence n'est pas hypothétique, non qu'on puisse la démontrer, mais parce qu'on peut déterminer précisément les points d'opposition.

Le premier ne renvoie pas à une différence " d’origine " (traduction Rivaud) mais d'acquisition. Que l'on apprenne d'un autre ou de soi même, on n'acquiert un savoir que par l'intermédiaire d'un enseignement qui n'est pas transmission de connaissance mais exercice de la distinction entre savoir et croire. Questionner, examiner, mettre à l'épreuve sont les pratiques d'un savoir qui ne prend forme qu'en prenant conscience de l'opinion comme telle. Le savoir s'acquiert " à travers " (dia) un enseignement, donc aussi un apprentissage, l’opinion vraie s'acquiert sous l'effet (hypo) d'une persuasion. Même si ce dont on, ou dont je, me persuade est vrai, bon ou utile, les moyens et l'objet même de la persuasion restent extérieurs à l'intelligence. Elle peut cependant les utiliser pour réaliser ses fins. C'est précisément ce que fait l'Intelligence à l'égard de la Nécessité quand il s'agit de constituer un cosmos. Mais "bonne" ou "mauvaise" (quand c'est la "nécessité" qui, inversement, impose ses fins à l'intelligence, qu'elle réduit à n'être qu'un calcul de moyens: voir Gorgias la persuasion fait toujours violence à l'intelligence en la forçant à composer avec la nécessité, et fait toujours appel à autre chose qu'à l'intelligence.

C'est pourquoi dire que le savoir est accompagné de logos vrai ne signifie pas qu' il prenne la figure d' une argumentation démonstrative. A la différence d'Aristote, Platon ne fait pas de la démonstration la forme propre de la science. Le discours vrai pour Platon est dialectique, il examine, pose des questions et tente d'y répondre, établit des distinctions et recherche l'unité. Qu'il soit dialectique est la condition même pour qu' il soit vrai.

Affirmer que l’opinion es alogos, c'est d'abord, que liée au sensible, donc au corps, elle comporte nécessairement une part d’irrationnel, d’injustifiable. De plus, le propre de l'opinion consiste a croire d'autant plus à la réalité du réel que cette réalité lui apparaît comme imposée de l'extérieur, comme "nécessaire", et précisément comme extra-discursive. Non seulement l’opinion saisit des "faits" donnés, massifs, mais leur caractère contraignant, impénétrable à toute raison lui parait la garantie même de leur solidité. Elle consacre ainsi la scission entre la réalité des contenus qui l'affectent, et le formalisme d'un discours, se contentant d’aligner des mots qui, eux, n'affecteront pas les choses mêmes. De telle sorte que pour l'opinion, la vérité est du côté, "choses", des contenus; la vérité du discours naît de sa conformité, mais surtout de sa capacité à s'imposer, de son efficace: de son aptitude à mimer la nécessité des "choses mêmes".

La persuasion a cette double fonction de production d'une réalité imaginaire (images de choses ou images de valeurs) et de construction de raisonnements fictifs. Illusion de réalité ou illusion de vérité ne se produisent qu'à la faveur de la distance, et la réalité comme la vérité varient selon la perspective. Les Sophistes possèdent l'art de faire varier la. perspective, donc de faire changer le contenu de l'opinion. Mais c'est le corps qui est le plus grand "sophiste" en ce qu' il est principe de soumission à la variabilité, à la fois sentant et "sensible" (doué de sens, et d'appétits). C'est d'abord lui qui nous fait croire à la réalité de l'image et à la relativité des valeurs (agréable/désagréable, beau/laid, bon/mauvais etc.). Le savoir consiste certes à ne pas consentir à la valorisation de l'opinion et aux prestiges des argumentations qui jouent sur la mutabilité des opinions. Mais savoir consiste essentiellement à ne pas croire savoir: à sortir de cette image du savoir induite par l'opinion, selon laquelle savoir serait précisément croire, être certain, adhérer.

Si l'intelligence est en l'homme sa "part divine", se laisser conduire par l'intelligence est une manière de s'assimiler au divin. Si tout homme, en tant que tel, ne participe pas de l'intellection, il possède nécessairement une espèce de connaissance. Pour qu'une âme soit une âme/ dit le mythe du Phèdre, il faut que cette âme ait au moins "aperçu", "entrevu de loin" la plaine de Vérité: qu'elle soit capable d'opiner. La connaissance par opinion est constitutive de l'humanité de l'homme, mais c’est aux "hommes divins", aux philosophes qu'il revient de marquer l'insuffisance de toute opinion, de saisir ce qui manque au devenir sensible, et de décider en faveur de l'intelligible (on serait tenté de dire: de parier pour lui).

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