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Réflexions sur la nature de l'esprit par Pierre Lachièze-Rey  p:7

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Esprit et progrès par l'intersubjectivité 

 Ce que nous venons de dire s'applique d'ailleurs, non seulement au progrès individuel, mais au progrès collectif. D'ailleurs le progrès individuel, réduit à lui-même, ne pourrait qu'être extrêmement limité et il devrait recommencer à chaque génération. Gusdorf a eu sur ce point d'excellentes pages. En somme, chaque acte du prochain est une invitation à refaire et à juger, donc à progresser. Et grâce à cette relation, à cette interférence des esprits entre eux, le progrès peut apparaître comme à la fois infini et orienté. Là encore on peut chercher des lois de succession des naturels mais elles restent toujours douteuses et précaires et il s'agit toujours du domaine de l'esprit pilote quand il est question de les appliquer. C'est toujours lui qui fixe l'orientation.

 L’on voit ainsi quelle conception inexacte on s'est fait généralement du progrès, conception inexacte qui correspond à celle qu'on s 'était faite du cours de la conscience. On avait conçu le progrès comme une sorte d'addition linéaire, aussi bien dans le domaine individuel que dans le domaine collectif. Le progrès était essentiellement un plus; l'enfant qui a appris la règle des participes ou les premières propositions d'Euclide a fait un progrès par rapport à ce qu'il était quand il ne les connaissait pas. On admettait seulement, d'une manière implicite ou explicite, que ce progrès linéaire s' accompagnait d'une certaine maturité d'esprit d'ailleurs difficile à définir et variable selon les philosophies. Mais, comme nous venons de le voir, le progrès est une dialectique ternaire, et qui, dans la société, se réalise essentiellement par l'intersubjectivité.

 On conçoit d'ailleurs qu'il revête des formes multiples, soit relatif à chaque civilisation et passe par une multitude d'avatars. Bien que relevant de l'esprit pilote, il ne peut s'appliquer à n'importe quoi. Une fois engagée dans une certaine voie, une civilisation progresse relativement à cette voie et dépend souvent des commencements. On peut s'en rendre compte en considérant ce qui se passe dans la confection d'une dissertation ou dans la construction d'un édifice. Quelques rigoureux qu'aient été les plans, et peut-on parler d'un plan quand il s'agit d'un progrès collectif, les diverses étapes de la pensée dépendent des premières assises qui ont été posées, des premières phrases qui ont été formulées, bref, d'une façon générale, de la primitive expérience. Or cette expérience est nécessairement variable selon les individus et les civilisations.

 Cette intersubjectivité, instrument essentiel de l'esprit pilote et moteur essentiel de son progrès pose d'abord de multiples questions que nous aurons à examiner tout à l'heure, questions qui préoccupent les dramaturges, les historiens et tous les théoriciens de la communauté des consciences. Nous les examinerons tout à l'heure. Mais il est nécessaire de dire un mot de la manière dont l'esprit pilote peut influer sur le naturel et le diriger.

 Tout d'abord il importe de remarquer combien la conception de la morale qui résulte de la relation entre les deux esprits s'écarte de la morale formelle au profit d'une morale concrète. Sans doute il reste l'idée que ce qui se fait devrait être érigé en loi universelle, mais pas dans le sens kantien. Ce devrait être érigé en loi universelle étant données les circonstances, et pour ces circonstances. Cette affirmation est une tautologie, car la conduite adoptée étant la meilleure pour ces circonstances, tout individu, placé dans ces circonstances, devrait l'adopter, mais elle ne doit pas être érigée en loi universelle en soi et sans conditions, comme Kant l'a professé à l'égard du mensonge qu'il a condamné même s’il est destiné à sauver un innocent en péril. Ainsi l'universalisation possible et même nécessaire doit être ici comprise dans un sens bien défini et relatif à l'ensemble des conditions données. Il s'agit avant tout, comme nous l'avons dit, pour chacun, de porter au maximum les qualités qu'il possède. Il existe en somme pour chacun un optimum qu'il s'agit d'atteindre, sans avoir d'ailleurs la prétention d'y parvenir. Pour obtenir ce résultat l'esprit ~lote possède divers moyens dont nous pouvons indiquer les principaux: a) la subordination des sentiments instinctifs à des idéaux de plus en plus élevés, par exemple la sublimation de l'amour: b) la signification donnée à certains sentiments ou à certaines sensations, par exemple la douleur; c) la relation établie entre certains modes d'action et un au delà dont elles sont le symbole, par exemple la symbolisation de l'infini par le fini et de l'absolu par le relatif, ainsi que le souligne souvent Blondel. Ces procédés ne sont nullement exhaustifs; ils peuvent être variés à l'infini et comportent toutes les nuances.
  

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