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Réflexions sur la nature de l'esprit par Pierre Lachièze-Rey  p:6

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Esprit et fidélité à soi 

 L'esprit apparaît donc comme étant toujours une loi éternelle. Il n'est pas jusqu'à la sensation elle-même qui n'apparaisse ainsi. La sensation, une fois éprouvée, devient, au sens platonicien, idée de la sensation, principe de reproduction indéfinie et principe de jugement illimité. La sensation de rouge devient l'idée du rouge, devient le rouge. Ainsi dans les manifestations les plus humbles de la vie spirituelle, on retrouve toujours les mêmes caractères et on n'a pas besoin de recourir à la loi mathématique, par exemple à la loi de construction du triangle, pour voir que cette loi contient tous les triangles possibles et s'applique à tous.

 Il résulte de ces remarques plusieurs conséquences. Le raisonnement par récurrence illustré par Poincaré comme une forme d'induction ne peut être interprété comme tel. L'infini est donné d'emblée sans aucune espèce d'induction dans tout acte spirituel. Tannery dans une discussion avec lui à la Société de Philosophie l'avait déjà remarqué. La loi même de construction du nombre: n = (n - 1) + 1 suffit à la besogne et recèle immédiatement l'infini. La remarque a été faite depuis par de multiples philosophes, par Le Senne, Burloud, etc. On n'a pas besoin de construire une série de cercles pour conclure de là à l'infinité de la constructibilité du cercle. Cette remarque va fort loin. On n'a pas besoin de prolonger une droite de A en B, de B en C, de D en E pour conclure qu'elle peut l'être indéfiniment. Une droite aussitôt conçue est partie pour l'infini. Il en est là comme dans le morceau de cire de Descartes qui recèle immédiatement une infinité de formes.

 Ainsi l'esprit apparaît non pas comme un courant de conscience continu ou discontinu, mais comme une réfection constante, c'est à dire d'abord comme une fidélité à soi-même, fidélité qui ne peut exister que par une unité originaire sur laquelle il s'appuie dans chacune de ses manifestations. Impossible de penser quoi que ce soit sans cette identité originaire. Mais cette identité ne suffit pas. Il n'y a pas seulement fidélité de l'esprit à lui-même, mais il y a aussi progression. Et cette progression suppose à la fois et dépasse cette fidélité. Ici nous rencontrons la dialectique de l'esprit, dialectique ternaire extrêmement simple qui se réalise en trois termes: 1) position; 2) judication; 3) approbation, rectification ou modification. Et cette dialectique est à la fois très simple et très nettement orientée. Sans doute y a-t-il tous les errements possibles, mais, dans l'ensemble, la judication n'est pas quelconque. En tout cas, un principe peut être posé: c'est que dans l'ensemble, et pour la plupart des hommes, la vérité est dans l'avenir et non dans le passé puisque chaque démarche de l'esprit s'incorpore les démarches précédentes et par conséquent apparaît comme relevant d'une conception plus complète que chaque judication contribue à mettre à jour. En somme, en gros, tout se passe comme dans le caractère intelligible de Kant. Ce caractère intelligible est une décision prise dans l'éternel et dont toutes les décisions particulières paraissent être un simple monnayage. Mais où est situé ce caractère intelligible et comment s'effectue ce monnayage? On a été trop tenté de concevoir l'éternel sur le modèle du passé à la manière mégarique, comme une décision déjà prise. C'est une manière très inexacte de concevoir le caractère intelligible. En réalité, Si on voulait le concevoir en fonction du temps et de nos décisions successives, il faudrait considérer que, en gros, nos décisions s'en rapprochent de plus en plus et que celle qui s'en rapproche le plus est la dernière. D'ailleurs on a souvent remarqué, et cela est particulièrement net dans les philosophies de Blondel et Brunschvicg, qu'il y a approfondissement progressif, que la rétrocession est fonction de sa procession, que la vision augmente en profondeur en même temps qu'elle se développe en richesse et en largeur. On pourra consulter à ce sujet les nombreux exemples donnés par le père Marc dans sa Psychologie réflexive. Or il y a approfondissement de quoi et vers quoi? Il semble que c'est vers la nature profonde de l'esprit qui apparaît comme située à l'infini et qu'on ne peut espérer rejoindre, mais dont on tend constamment à se rapprocher. Sartre a raison de parler de néantisation. Il y a évidemment une coupure constante à travers le temps, telle que le mouvement du passé vers l'avenir est constamment interrompu, tout acte spirituel étant projeté dans le passé et placé devant l'esprit pour être jugé, mais il a eu le tort de vouloir créer un mot nouveau qui évoque des résonances métaphysiques mystérieuses et dont la sonorité est fausse, alors que le mot de réflexion, convenablement expliqué, aurait suffi. Nous en dirons autant de la dialectique hégélienne qui, tout en étant assez exacte dans l'ensemble, ne coïncide pas cependant d'une manière absolue avec le mouvement progressif de l'esprit. Quant au monnayage du caractère intelligible de Kant, il ne faut pas le considérer simplement comme consistant dans une série d'actes tous semblables entre eux et présentant une uniformité qualitative, mais dans ce mouvement de dialectique ternaire où intervient toujours une judication. Ce que nous venons de dire d'ailleurs est vrai dans tous les domaines: hypothèses scientifiques, conceptions morales et œuvres d'art, bien que sous des formes variées qui appartiennent à chacun des thèmes considérés.
  

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