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Réflexions sur la nature de l'esprit par Pierre Lachièze-Rey  p:4

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La répétition intentionnelle 

Mais, quand il s'agit de l'esprit pilote, de l'esprit directeur, de l'esprit qui sait ce qu'il veut, la question se pose tout autrement et d'ailleurs, doit être considérée sous différents aspects.

Considérons d'abord la perception sous toutes ses formes. Cette perception, que ce soit celle d'un objet ou celle d'un livre, est toujours successive, ainsi que Kant l'a nettement mis en lumière. C'est là une remarque essentielle sans laquelle ses œuvres ne pourraient pas s instituer. Mais, bien que Kant ait mis en lumière ce point particulier, il ne l'a pas assez précisé. Nous avons d'abord insisté sur le fait que Saint Augustin avait fait avant lui les mêmes remarques, mais il semble qu'il y ait tout simplement dans la perception, quelle qu'elle soit, une continuité sans coupure entre les termes parcourus, les termes à parcourir actuellement et les termes à parcourir dans l'avenir, ainsi qu4une synthèse mentale reliant tous ces termes. En fait, quand on examine la chose avec précision, on s'aperçoit qu'il n y a pas simplement continuité et synthèse, mais reproduction des termes antérieurs avec reconnaissance de l'identité des termes parcourus, avec intention de les reproduire identiquement à eux-mêmes, par conséquent avec conscience préalable de leur identité dans cette reproduction. C'est ce qu'on voit difficilement quand il s'agit par exemple de percevoir les différents aspects d'un amphithéâtre; c'est ce que l'on voit beaucoup mieux quand il s'agit de saisir dans son unité l'ensemble d'un livre long à lire. Il arrive même dans ce dernier cas que la lecture est à la fois matériellement et intentionnellement reproduite parce qu'on a oublié le commencement au fur et à mesure qu'on avance; cela peut se produire aussi dans la simple vision d'un monument dont on reprend effectivement les diverses parties pour mieux percevoir l'ensemble. Mais ce qui est fait quelquefois effectivement et matériellement est fait toujours mentalement, et il y a toujours dans une perception reproduction des termes antérieurs avec conscience et intention de leur identité. C'est ce qui se produit également dans le cartésianisme quand il s'agit de revues de plus en plus rapides des termes en vue de la perception intuitive des ensembles. Déjà l'on voit que, dans ce cas-là, on ne peut plus parler de progrès dans le sens temporel, mais de reprise et de reproduction.

Il faut insister encore davantage sur ce point. Bien qu'il n'ait pas insisté assez sur cette question, Kant a eu cependant ici quelques formules heureuses. Il a déclaré que son système supposait que la perception se réalisait d'une manière successive suivant une loi qui rendait cette succession indéfiniment reproductible. Or il y a là une observation très importante. Toute perception est un acte et tout acte suppose l'immanence d'une loi dont il relève. Impossible de reproduire un terme quelconque sans s'appuyer sur une loi de sa reproduction, et cela quel que soit ce terme. Ainsi impossible de reproduire la colonne d'un amphithéâtre sans s'appuyer sur une loi de reproduction de cette colonne. Impossible de reproduire la couleur qui appartient à un ensemble sans s'appuyer sur la loi de reproduction de cette couleur; impossible de reproduire un mot sans s'appuyer sur une loi de la reproduction de ce mot. Impossible a fortiori, comme l'a remarqué Newmann, de faire de la psychologie devant quelqu'un, sans lui et malgré lui, parce qu'il faut toujours que les termes employés suggèrent à l'intéressé le phénomène correspondant et cette suggestion ne peut se faire sans l'appui sur la loi du phénomène. On pourrait continuer ainsi indéfiniment. Comprendre quoi que ce soit, percevoir quoi que ce soit, c'est refaire, et refaire suppose toujours qu'on prend son point d'appui sur la loi de réfection.

Dès à présent, on peut faire une remarque qu'on devra retrouver et amplifier dans la suite. La répétition ici n'est point mécanique comme celle que l'on rencontre dans le cours de la Nature ou comme on pourrait la retrouver dans un disque de phonographe. C'est une répétition intentionnelle adaptée par l'esprit à son objet, une répétition voulue par l'esprit dans un but bien défini, une répétition qui se fait non point suivant une loi faite pour traduire artificiellement la répétition et qui est censée la gouverner, mais opérée selon une norme intérieure. Bref l'esprit apparaît ici comme fidélité. On a parlé souvent ces temps derniers de la fidélité, mais on l'a fait commencer trop loin et on n'est pas remonté à ses présupposés métaphysiques. Blondel a mis dans certains cas en lumière cette fidélité en insistant sur la pensée, l'action, l'être comme lois auxquelles nous sommes constamment obligés de nous conformer et qui font que la vie psychologique est pour nous une tunique sans couture et non un habit d'arlequin.

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