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Réflexions sur la nature de l'esprit par Pierre Lachièze-Rey  p:10

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Esprit et liberté 

 Ce problème de la liberté de jugement soulève de nombreuses difficultés et réclame d'autre part de nombreuses précisions. On confond en effet sous ce nom des idées fort différentes. Pour Platon, pour beaucoup de philosophes et même pour Spinoza à certains égards, la liberté caractérise un mode rationnel d'action. On connaît la fameuse parole prêtée à Socrate: nul n'est méchant volontairement. On a considéré qu'il y avait là un paradoxe. Ovide n'a-t-il pas dit: video meliora, deteriora sequor. Mais envisager les choses sous cette forme, c'est commettre un contre sens. L'école socratoplatonicienne donne en somme tout simplement une définition de la liberté. Celui qui n'agit pas rationnellement n'est pas libre: ou c'est un ignorant, - ou il est entraîné par ses passions. Une pareille conception est purement logique et ne comporte aucune difficulté.

 On retrouve cette conception chez le père Marc dans sa Psychologie réflexive et, comme nous l'avons dit, beaucoup d'auteurs n'en conçoivent pas d'autres. Dans ces conditions, et Spinoza n'hésite pas à le dire expressément, le sage diffère de l'insensé exactement comme l'homme diffère de l'animal ou l'animal du corps brut. Il y a dans le monde des Achille et des Thersyte comme il y a des êtres différents. Tout ceci n'offre aucune difficulté.

 Mais la difficulté commence et s'affirme avec le problème de savoir Si nous sommes libres d'être libres, s'il dépend de nous de l'être ou de ne pas l'être, c'est-à-dire du libre-arbitre. Ceux qui pensent se tirer d'affaire en éliminant le libre-arbitre ne savent pas ce qu'ils font. En réalité, malgré l'apparence rationnelle de leur système, ils réduisent l'homme au rang de chose et on peut reprendre ici dans un sens péjoratif une formule que Leibniz et Spinoza adoptent avec orgueil, ils réduisent l'homme au rang d'automaton spirituale. Ici encore il nous faut recourir à Descartes pour en tirer quelque lumière.

 Descartes a écrit que " la liberté d'indifférence était le plus bas degré de la liberté )). On rappelle souvent cette formule, mais on oublie de dire qu'il y a chez Descartes deux sortes d'indifférence. L'indifférence dont il parle ici est celle où la volonté n'a pu malgré elle s'éclairer comme elle aurait voulu et où finalement malgré le désir d'une plus grande lumière, elle joue finalement à pile ou face et s'abandonne à une décision qui se rapproche plus ou moins du hasard.

 Mais, à côté de cette liberté d'indifférence qu'on pourrait appeler inférieure, Descartes admet une liberté d'indifférence supérieure, celle de dire oui ou non, en somme celle de s'attribuer l'acte quel qu'il soit, et avant toute délibération. Quoi que je fasse, c'est moi qui le ferai.

 Or, cette conception qui, en somme, fait de l'homme, au moins à certains égards, un commencement absolu, présente de nombreuses difficultés, sans qu'on puisse cependant l'éviter Si on veut faire de l'homme quelque chose et Si on veut d'autre part attribuer quelque mérite ou quelque démérite à ce qu'il pourra faire.

 Les difficultés ne viennent pas du déterminisme. Il y a longtemps qu'on a cessé de poser les difficultés sur ce terrain. D'abord le déterminisme n'est qu'une hypothèse. Et puis le déterminisme ne peut exister que par son affirmation laquelle étant un acte de penser ne relève pas du déterminisme mais de principes. C'est pourquoi on doit considérer comme une vague fantaisie de savants et un produit de l'ignorance la querelle actuelle autour du principe d'indéterminisme de Heisenberg. Que ce principe ait une valeur scientifique ou qu'il soit simplement le produit d'une ignorance actuelle et provisoire, peu importe. Dans tous les cas Si même il existait de l'indéterminisme dans la Nature, cet indéterminisme n 'aurait rien à voir avec la liberté, mode d'action d'un être raisonnable, même quand il ne l'est pas.

 La vraie difficulté est d'ordre métaphysique et elle vient de ce que l'homme n'est pas un être premier. Comment un être qui n'est qu'une créature secondaire peut-il prendre une initiative absolue? Il restera toujours là un mystère, mais un mystère qu'il est nécessaire d'admettre Si on ne veut point réduire l'homme au rang de chose et supprimer tout sens à l'univers. Seulement s'il reste ici un mystère, il faut admettre nécessairement les conditions qui permettent le mystère, et Blondel les a nettement mises en lumière. La liberté ne peut sortir de la nature, car, de la nature il ne peut sortir qu'une nature. Dieu seul, quel que soit le mystère d'une pareille position, peut créer une liberté. La liberté n'est donc possible que par Dieu bien qu'elle reste mystérieuse.

 Mais examinons le problème de plus près. Chacun, d'après ce que nous avons dit, a une nature, nature qui est un donné dont nous cherchons les causes et qui, naturellement, modifie la responsabilité et les possibilités de chacun. L'Evangile reconnaît cette situation puisqu'il n'attribue pas les mêmes talents à chacun. Mais, à côté de la nature, il y a l'esprit pilote et l'esprit pilote est rationnellement impressionné et dirigé par les autres esprits de même sorte: "Ne jugez point, et vous ne serez point jugés". Charles Péguy a particulièrement insisté sur ce jeu mutuel des libertés, l'apôtre a dit que nous étions responsables du genre humain, et le théâtre et le cinéma moderne ont maintes fois insisté sur le caractère collectif de notre responsabilité.

 Il en résulte que, tout en attribuant à chacun une dose déterminée de liberté, il est impossible de la délimiter et que cette liberté lie peut être attribuée collectivement qu'à l'humanité.

 Quant à l'initiative, à la liberté, quelque mystérieuse qu'elle soit, elle est la condition de tout mérite, même religieux et surtout religieux, de telle sorte que MM. Vialatoux et Latreille ont pu considérer que toutes les conceptions pouvaient se rejoindre dans une théorie sociale qui se proposerait comme but le développement maximum de cette initiative, c'est-à-dire précisément de la liberté.

 Ce problème de la liberté qu'on ne peut résoudre partiellement qu en faisant de la liberté une oeuvre collective dans laquelle nous sommes tous solidaires sans qu'on puisse attribuer à chacun une part définie soulève un grand nombre de questions, depuis les questions politiques jusqu'aux questions métaphysiques.

 Au point de vue politique la question est à la fois matérielle et morale. Saint Thomas disait déjà qu'un minimum de bien-être est nécessaire à l'exercice de la vertu, et à la résurrection de la fille de Jaïre le premier mot du Christ avait été: " Donnez-lui à manger ". Elle est matérielle aussi au point de vue de l'organisation de l'instruction et de toutes les institutions qui peuvent favoriser ou entraver une libre décision.

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