° Rubrique philosophie - FAC de Philagora: http://www.philagora.net/philo.php

Réflexions sur l'idéalisme par Pierre Lachièze-Rey 

Page 2: L’idéalisme subjectif et l’idéalisme critique
_________________________________

Descartes n'a jamais résolu cette question et c'est précisément cette absence de solution que montre la controverse entre Malebranche et Arnauld. Pour Arnauld l'idée est un état représentatif, c'est-à-dire un état psychologique qui a le privilège, d'ailleurs inexplicable, de représenter une réalité. Pour Malebranche l'idée dans sa structure ne peut résider qu'en Dieu, seul susceptible de lui donner sa valeur éternelle; elle est en somme le type, la forme, la règle sous laquelle le créateur aperçoit sa création possible et qu'il nous communique par la vision en lui.

 Descartes, Malebranche et Arnauld se placent encore sur un plan réaliste. Mais, une fois la chose en soi rejetée ou niée, cette structure donne place à un double idéalisme.

 Le premier est un idéalisme empirique ou subjectif dont on trouve l'expression aussi parfaite que possible au début du Théétète. Cet idéalisme parait avoir été commun à certains disciples d'Héraclite, aux philosophes de l'école de Cyrène dont le fondateur est Aristippe, et surtout à Protagoras sous le nom duquel elle est ici présentée. Cet idéalisme consiste à dire que seul existe le phénomène psychique qui passe et dont le type est la sensation. Il n'y a pas d'objet unique extérieur à la sensation et se traduisant en sensations multiples. Il n'y a pas un objet vent qui serait tantôt chaud et tantôt froid; il y a seulement des sensations différentes: vent chaud et vent froid. Socrate malade n'est nullement identique à Socrate bien portant, mais Socrate malade est un groupe de sensations différentes de Socrate bien portant. L'opposition du sujet et de l'objet est une opposition intérieure au phénomène psychologique et comme une de ses qualités. Une situation analogue reparaît chez Berkeley où il n'y a pas un bâton qui serait brisé pour la vue et droit pour le toucher; il y a là deux sensations différentes qui ont la même valeur et constituent chacune une réalité différente. Il en est de même de l'objet vu à l'œil nu et vu au microscope; il y a là deux images différentes qui constituent autant de réalités. Il en est de même d'une tour qui se rapproche. Il y a tout simplement autant de réalités que d'images vues successivement. Encore Berkeley admet-il que cette succession de phénomènes psychologiques se produit dans un sujet, dans un esprit auquel il accorde une certaine substantialité, mais l'idéalisme psychologique radical reparaît chez Hume où l'esprit n'est plus qu'une république de perceptions qui se succèdent les unes aux autres selon certaines lois. Le bergsonisme avec son cours de la conscience n'est pas très loin de thèses analogues - et la position de William James est une position analogue avec sa théorie des penseurs successifs qui se passent leur contenu les uns aux autres à la manière de billes contiguës qui se transmettent de l'une à l'autre le mouvement subi. Sans doute ces doctrines ne sont-elles pas toutes franchement idéalistes, mais elles le sont dans la logique de leur constitution sinon dans leurs affirmations dernières. Et il en est de même de Brentano malgré sa théorie de la conscience intentionnelle qui a été exploitée par la phénoménologie, car l'intention, comme chez Protagoras le rapport du sujet et de l'objet, est une propriété du phénomène psychologique qui passe.

 Ces philosophies relevant de l'idéalisme psychologique, subjectif et empirique ont à peu près perdu tout crédit à l'heure actuelle car elles sont impuissantes à rendre compte de la structure. Pour en rendre compte en effet, elles ne disposent que de l'habitude et de l'association d'idées accompagnées de remarques sur la différence de vivacité ou de soudure entre les idées. Or c'est de cette insuffisance qu'est né l'autre idéalisme, l'idéalisme critique qui va au contraire donner la place éminente à la structure.

 La situation respective des deux idéalismes apparaît nettement dans l'opposition de Kant et de Hume. Le texte essentiel de Kant sur ce point est celui de la déduction transcendentale des catégories où Kant met en lumière que l'habitude elle-même invoquée par Hume suppose un ordre préalable au lieu de l'engendrer. Or cet ordre n'est pas donné dans la succession subjective des phénomènes où n'importe quel phénomène suit n'importe quel autre. Pour que l'habitude puisse être contractée, il faut d'abord que les phénomènes aient été organisés en objets et en monde d'objets selon certaines formes et selon certaines règles, formes et règles qui ne sont effectivement que des particularisations d'un acte suprême, de la règle des règles et de la loi des lois qu'est la conscience transcendentale. S'appelle transcendental chez Kant ce qui est indispensable à la construction de l'objet ou à la construction d'un monde d'objets. L'espace et le temps sont des facteurs transcendentaux dans la mesure où ils constituent le cadre nécessaire et l'étoffe nécessaire des objets et du monde, - les catégories sont transcendentales en tant qu'elles sont des fonctions d'Univers et sont nécessaires à la constitution des rapports selon lesquels sont tissés les objets et le monde, la conscience est transcendentale dans la mesure où elle est nécessaire à la constitution d'un monde d'objets. Cette conscience transcendentale agit dans la construction du monde comme l'esprit agit dans la construction des figures quand il tisse la trame de la géométrie et, de même que dans le cercle construit on retrouve ce que les lois de sa construction y ont inséré, de même on ne retrouve dans le monde des objets que ce qu'on y a introduit.

 Naturellement on pourrait croire qu'il ne s'agit là que d'une reconstruction et non pas d'une construction. Une telle attitude ne conduirait pas nécessairement à un idéalisme. Elle pourrait signifier simplement qu'on ne peut connaître le monde qu'en le reconstruisant. Mais l'Analytique transcendentale se complète par la Dialectique transcendentale où Kant montre les contradictions dans lesquelles on s'engage quand on prétend hypostasier le monde sensible avec son milieu spatio-temporel. La série des phénomènes psychologiques que considérait exclusivement l'idéalisme psychologique n'est en somme désormais que le sillage, que le contrecoup, que l'épiphénomène d'une activité spirituelle qui prend son point d'appui sur elle-même, c'est-à-dire sur ses lois intérieures pour réaliser ses opérations et construire son monde et qui, déployant elle-même le temps et l'espace, apparaît comme aspatiale et comme intemporelle.
 

Aller à  Page 3 -Conséquences

Retour à la page PREPAGREG/philo

Aller à la rubrique PhilosophiePage d'accueil du site Philagora

Aller à la rubrique PhilosophiePage d'accueil du site Philagora

2010 ©Philagora tous droits réservés Publicité Recherche d'emploi
Contact Francophonie Revue Pôle Internationnal
Pourquoi ce site? A la découverte des langues régionales J'aime l'art
Hébergement matériel: Serveur Express