De
moi à toi et de toi à moi.
= Au fondement de
l'action d'échanger, il y a la réciprocité: l'action s'exerce
d'un premier terme (moi) à un second (toi) et réciproquement du
second (toi) au premier (moi).
Dans l'acte d'échanger, deux personnes se livrent mutuellement
des objets considérés comme équivalents. Chacun donne et
reçoit des choses équivalentes, même si deux choses, à
strictement parler ne peuvent être équivalentes que si elles
sont identiques et dans le même état de conservation. A
condition bien entendu que l'une n'ait pas une valeur sentimentale
qui la rende irremplaçable et sans prix.
Par exemple, cet objet ordinaire qui m'a été donné par un cher
disparu.
Bien entendu les
choses échangées doivent être différentes: à quoi cela
servirait-il de donner un chose pour que tu me donnes la même
chose.
Échanger,
instituer un commerce intégral.
= La société
dans laquelle nous vivons est tissée par des échanges au point
que le lien social devient la figure d'un commerce intégral, sans
aucune restriction: au point que la réciprocité commande les
relations.
Qu'on y réfléchisse: l'acte d'échanger se retrouve à l'origine
du commerce, de la pensée, des contrats, des religions, des
relations amoureuses , de la science...
Celui qui
échange entre ainsi dans un processus universel qui le tourne
vers tous, qui l'ouvre à tous. Ce mouvement d'ouverture crée et
consolide le lien social dans la mesure où par les échanges,
chacun en s'insérant dans une société préfère la
réciprocité à la guerre, le dialogue à la violence.
Échanger,
s'humaniser.
= En effet:
-
- Échanger
revient à faire acte d'intelligence: l'intelligence ajuste
les moyens à une fin. Je donne ce que j'ai en trop, ce dont
je n'ai pas besoin contre ce dont j'ai besoin, ce que tu as en
trop, ce dont tu n'as pas besoin. Chacun est gagnant. Toi et
moi, nous nous assurons un plus avec ce qui est en trop et ne
nous sert pas. Chacun pense y gagner plus que ce qu'il ne
donne et donne en échange ce dont il n'a pas besoin.
-
- Échanger
revient à s'orienter vers le Droit, faire acte de justice. Le
premier salaire, on l'a gagné, en donnant un travail bien
fait en échange. Chacun se trouve quitte et ne doit rien à
l'autre. L'acte est juste parce que l'on considère qu'il y a
une équivalence de valeur entre ce qu'il donne et ce qu'il
reçoit. Il est certain que cette justice dépend de
l'équivalence et donc de la possibilité d'évaluer ce qui
est échangé. Par exemple, je peux toujours considérer que
mon travail vivant vaut plus que ce que je reçois en
échange: il y a alors injustice," je suis
exploité".
-
- Échanger
revient à exercer sa liberté.
D'abord parce que, échanger c'est reconnaître, accepter
librement la dignité de celui avec qui on échange et, ce
faisant, se reconnaître comme être libre de donner, de
renoncer à ce qu'il possède, de s'en libérer.
De plus la division du travail qui est une figure de
l'échange, permet, par exemple de partir en vacances en se
reposant sur le travail d'autrui.
Il faut bien distinguer l'argent donné et l'argent gagné:
derrière l'argent donné, il y a toujours une contrainte
explicite ou implicite, même si on nous dit: "tu en feras ce
que tu voudras." Peut-être, mais il ne nous est pas donné
pour qu'on le jette dans une poubelle. Au contraire, avec le
premier salaire reçu en échange d'un travail bien fait, on
reçoit du même coup le droit d'en faire ce que l'on veut puisque
l'échange juste permet de ne rien devoir à celui qui verse le
salaire.
Les
problèmes posés par l'échange.
= Il n'en reste
pas moins vrai que l'échange pose bien des problèmes autres que
celui d'évaluer la valeur d'un travail. En effet, la conséquence
de la réciprocité débouche sur des impasses sociales et
relationnelles. Si j'aime ceux qui m'aiment, si je donne à ceux
qui me donnent, si j'aide ceux qui m'aident, je participe à la
construction d'une humanité inhumaine dont la sagesse ne sera
jamais qu'un calcul de la raison. Dans une telle société, celui
qui parle d'amour ou de partage passe pour un fou.
= Dans la
société des échanges, celui qui n'a rien ne reçoit rien: il
n'existe pas: exister c'est être pour quelqu'un. Il ne peut même
pas exercer les libertés fondamentales, par exemple celle de se
déplacer puisqu'il ne peut pas échanger contre une somme
d'argent, la possibilité de se déplacer.
On peut affirmer
que l'échange est une condition de l'humanisation mais que,
réduit à la seule réciprocité, il en est le principal
obstacle.
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