II- Résumons:
l'humanité
s'exprime dans la technique qui implique la possibilité:
1- De
se représenter mentalement l'action à accomplir (simulation)
2- D'inventer
la forme de l'outil la mieux adaptée à la tâche.
3- De
choisir les matériaux les plus adaptés à l'action. La
technique des premiers temps induit des actes de libertés: l'être
humain dans son action imagine, invente, produit en utilisant son
corps et singulièrement ses mains.
Mais
l'évolution de la technique et les inventions successives ont
engendré la division du travail en
-
travail
manuel et
travail intellectuel avec
pour conséquence immédiate l'inscription d'une interdépendance
entre les hommes et, pour conséquence lointaine,
la séparation du savoir
et du faire,
l'aliénation de l'un comme de l'autre.
Alors que dans le savoir faire premier, non seulement le
savoir, grâce au faire, gardait la mesure de la nature, mais
encore le faire se pénétrait d'intelligence et
d'imagination, au contraire dans la technique actuelle, le
faire, articulé nécessairement à la science, a perdu la
liberté de la conscience comme source, tandis que le savoir
théorique, préoccupé du résultat comme rendement, isole et
abstrait les systèmes étudiés de l'écosystème qui
pourtant soutient leur existence et conditionne leur survie.
-
La nature
physique et la condition humaine sont donc sacrifiées parce que
le savoir est justifié non plus par la connaissance à atteindre,
mais par le pouvoir qu'il donne:
==>
Savoir pour pouvoir suffira donc aux pragmatistes, ces modernes
sophistes.
-
D'ailleurs,
l'évolution de la technique marque bien cette course à la
puissance, ce refus du risque impliqué par la vie, au mépris de
la nature et du travailleur: la main était trop prise dans
l'action, alors l'outil sauva la main: la main était asservie à
l'outil et freinée par sa force limitée: la transformation de
l'outil en machine soulage la main et décuple les forces. Avec la
machine "asservie" disparaît la main et avec elle le
faire.
-
Derrière la
division du travail, il y a le souci de l'intensification des tâches
ordonnée au rendement. La conséquence de cette division est la
distinction des capacités intellectuelles et des capacités
manuelles qui produit une ségrégation des individus, mouvement
inverse de l'humanisation.
-
Comme capacité
à obtenir un résultat, une amélioration du niveau de vie, comme
capacité à libérer du travail et à faire naître un monde de
loisirs, la technique s'impose comme ce à quoi il faut dire oui;
cette même capacité à obtenir un résultat peut servir aussi
bien le juste que l'injuste jusqu'à détruire l'écosystème et
l'ensemble des hommes; cette même capacité à libérer du
travail a été source de chômage et de déshumanisation.
-
Certains
affirment qu'il faudrait dire oui et non en même temps à la
technique: il y a quelque naïveté et quelque incohérence dans
ce genre d'affirmation, comme si on voulait à tout prix donner
une bien hypothétique "essence" à la technique qui
n'est pourtant qu'un processus matériel à déclencher ou à ne
pas déclencher, comme si on voulait faire d'elle un objet
transcendant, maléfique en soi, dans une perspective du panthéisme
contemporain. Il s'agit plutôt de dire oui ou non à la violence
des acteurs, au désir de celui qui utilise la technique.
-On
peut situer la technique:
- c'est
un pouvoir sur la matière donné par un processus matériel. Or,
un pouvoir en lui même n'est pas à craindre, car il n'apparaît
que s'il est exercé et si on le laisse bien s'exercer. Dans ces
conditions, c'est celui qui utilise ce pouvoir qui doit se maîtriser
ou s'il en est incapable être maîtrisé par la loi.
- La
technique renvoie donc à l'origine du pouvoir de décision, comme
rassemblement d'hommes égaux dans une liberté partagée: contre
la monstruosité d'une technique vide de pensée morale, le seul
recours est la pensée, la concertation qui fait naître l'éthique,
la loi née de la réflexion morale. Il serait vain d'attendre des
solutions de la technique elle même, d'une essence qu'elle n'a
pas. Il faut donc l'articuler sur autre chose que sur la science,
une sorte de retour au savoir faire premier que l'éthique
transfigure en autonomie comme obéissance à la loi qu'on s'est
prescrite, la seule forme de liberté compatible avec la
coexistence pacifique.
Quelques
citations:
"L'intelligence,
envisagée dans ce qui en paraît être la démarche originelle,
est la faculté de fabriquer des objets artificiels, en
particulier de outils à faire des outils, et, d'en varier indéfiniment
la fabrication" Bergson,
"L'évolution créatrice"
"Oui! à la technique, mais
à la technique dominée par l'homme" Friedmann
"
"Un
procès (processus)
de production dont l'opération est réduite au fonctionnement
d'un dispositif matériel et dont le produit n'est constitué que
des éléments eux-mêmes objectifs et matériels de ce
dispositif, c'est un procès en lequel plus rien ne subsiste de la
vie, un procès de mort. Michel HENRY , "Du communisme
au capitalisme"
Quelques
pistes de lectures:
Platon:
Timée, 29a, b
Aristote: Physique 2, 8, 199a
Rousseau: Discours sur l'origine de l'inégalité
Bachelard: Le rationalisme appliquée p.105 ...
Heidegger: Essais et conférences, "la question de la
technique" Gallimard, p.10
Pierre Francastel: Art et technique
G. Friedmann: L'homme et la technique, 1977 Denoël-Gonthier
Léon-Louis Grateloup: dialogue sur la technique, cours de
philosophie p.446
Michel Henry: Du communisme au capitalisme, théorie d'une
catastrophe. Odile Jacob 1990
Dans la collection "Optiques" Hatier: Nature et
Technique de Dominique Bourg, avec une excellente bibliographie.
=>Voir
dans Philagora:
* Le
travail contribue-t-il à unir les hommes ou à les diviser? (lien
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