L'Edit
de Nantes - Il
y a 400 ans, Avril-Mai 1598
Henry par la grâce
de Dieu Roi de France et de Navarre A tous présents et à
venir
Salut.
"Nous espérons... que Nous parviendrons à l'établissement
d'une bonne paix... Nous avons jugé nécessaire
de donner maintenant une loi générale, claire,
nette et absolue..."
"Ayant bien et
diligemment pesé et considéré toute cette affaire avons par cet
édit perpétuel et irrévocable, dit, déclaré
et ordonné..."
"Article
premier... La mémoire de toutes choses passées
d'une part et d'autre,... demeurera éteinte et assoupie, comme de
chose non advenue."
Article six: Avons permis et permettons à ceux de ladite Religion
Prétendue Réformée vivre et demeurer par toutes les villes et
lieux de notre royaume... sans être enquis, vexés, molestés ni
astreints à faire chose pour le fait de la religion contre
leur conscience..."
Qu'est-ce
qui fait donc la force de l'Edith de Nantes?
Pas
tellement son contenu qui rassemble les Edits de
1562 à 1576: Saint Germain, Amboise, Boulogne, Beaulieu,
autant d'Edits, autant de voeux pieux comme ces bonnes paroles qui
précèdent les mauvaises actions et les massacres, autant
d'écrits morts-nés.
Ce
qui fait la force de l'écrit nantais ce n'est pas seulement que la
raison, le sens politique du possible, de l'acceptable
(étant donné les rapports, -ce que Robespierre appellera
"la force des choses")- et le coeur, la
générosité, l'inspirent, c'est aussi l'autorité royale
que Henri IV engage avec toutes ses forces et tout son courage,
jusque devant le Parlement de Paris:
<J'ai
sauté sur des murailles de ville, je sauterai bien sur des
barricades> (7 Janvier
1599)
Ainsi,
un an après avoir signé l'Edit dans le fief des catholiques les
plus intransigeants, à Nantes, Henri IV fait
savoir haut et fort que ce ne sont pas les passions de la rue, des
factions, qui peuvent faire la loi mais le souci du bien commun
éclairé par la raison: le souci de la paix.
Laissons
le contenu de l'Edit aux historiens, laissons leur le soin de
limiter les interprétations hasardeuses qui iront jusqu'à
appeler Edit de tolérance un écrit qui refuse d'employer le
terme de tolérance, sans se demander pourquoi il a été écarté
par le rédacteur (Jacques Auguste de Thou).
Admirons
la raison et le coeur qui, il y a quatre cents ans animaient Henry
IV.
La
République le commémore: pourquoi?
Est-ce
l'événement, le fait, le symbole, qui est célébré ?
Ce
fut d'abord un événement, ce qui arrive une fois dans
un "ici", à Nantes, et un "maintenant" au
cours du mois d'avril 1598. Voici l'essentiel:
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Le
roi Henri IV, |
|
manifeste sa volonté, déclare
et ordonne
à la fois
(édit) que
la liberté de conscience des
protestants,
une liberté de culte limitée
et l'égalité civile
avec les catholiques, |
|
doivent
désormais être respectées: il dit ce qui doit être,
le droit. |
Oui-oui:
il décide pour les autres.
Jacques-Auguste
de Thou
(1553-1617) le rédacteur.
|
Hibou:
oui, mais sa parole est écrite: ce qui arrive à
Nantes, c'est la naissance d'un droit que le roi valide
officiellement: tout acte législatif est un
événement. Pour que sa parole ne disparaisse avec
cette journée de printemps, il met sa signature au bas
d'un texte qui détermine l'action juste (conforme au
contenu) et l'action injuste (non conforme au contenu).
Oui-oui:
l'événement c'est donc, si j'ai bien
compris ce qui arrive en un endroit et à
un moment, et qui retentit sur les actions des
contemporains.
|
Hibou:
c'est bien cela: parce qu'il valorise ou dévalorise les actions,
il retentit sur le devenir,
il oriente le cours de l'histoire: la preuve, à
36 ans de guerre civile entre catholiques et protestants va
succéder 90 ans de paix. Pense
aux vies épargnées et à leur descendance!
Oui-oui:
(après un long silence). Tout ça me semble loin et cet
événement ne me concerne pas. Sait-on vraiment ce que
voulait Henri IV, sa motivation? Et le texte original,
pourquoi ne pas le reproduire ici "in extenso"
comme tu aimes dire?
Hibou:
Dès 1628 l'original sur parchemin est
détruit lors de la prise de La Rochelle, (place forte
protestante), par le cardinal de Richelieu. Nous n'avons
qu'une copie qui était précieusement conservée à
Genève.
Oui-oui:
alors pourquoi cette commémoration d'un Edit
Royal, dans notre république laïque? Pourquoi
revenir sur ce texte qui demande d'oublier 36 années de
massacres alors qu'on nous conjure actuellement de ne
pas oublier ceux du XXème siècle, au point d'en faire
un devoir de mémoire: les morts ont-ils des droits?
|
Philippe de Mornay,
représentant de la cause protestante
|
Hibou:
ah, oui-oui, tu poses les bonnes questions en soulevant ces deux
paradoxes:
le
roi dit: je veux, (un seul dit la loi!)
et la république, pour qui seul le peuple est souverain,
applaudit!
Le roi
dit: oubliez et la république rappelle
au devoir de mémoire!
|
Oui-oui:
attention! Pas tout de suite, 50 ans après...
Hibou:
bien dit. Serait-ce que le
fait, ce que l'historien fait, aurait remplacé l'événement?
Entre ce que je raconte et l'événement, il y a toujours une
distance: entre ce qui s'est passé (l'événement)
et ce que l'historien nous en dit (le fait),
après un effort de critique: il y a la construction d'un discours
si bien qu'on peut distinguer:
- L'événement passé qui a disparu
- Le fait construit sous la forme d'un discours présent
qui raconte.
A travers le fait présent, l'événement passé est mis en
perspective car les préoccupations du présent
interfèrent dans la visée de l'événement.
Oui-oui:
autrement dit, si je comprends, notre république actuelle se
retrouverait dans un roi catholique qui lui, semble se mettre au
dessus des passions religieuses pour assurer la liberté et
préfigurer la laïcité! Le fait contre l'événement?
Hibou:
non, car les historiens ont fait un énorme travail pour
présenter un fait ajusté, autant que possible, à
l'événement.
Ainsi par exemple, Bernard Cottret, auteur de "1598,
l'Edit de Nantes" s'attache longuement à
prévenir les contre-sens manichéens (qui sépare
radicalement bien et mal) de l'opinion qui tient
absolument à glorifier Henri IV et à
maudire Louis XIV,
(révocation de l'Edit de Nantes). |
Loin
d'être la source de la laïcité l'Edit de Nantes
souhaite explicitement le triomphe du catholicisme selon
les règles de l'époque:
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*Loin
d'appeler de ses voeux la liberté de tous, l'Edit de
Nantes affirme le pouvoir d'un seul: c'est la première
pierre du centralisme. |
Un
prince, une religion. |
Oui-oui:
"ils sont fous ces romains!", ces républicains!
Hibou:
non car ce n'est pas un événement disparu qu'on commémore, ni
un discours historique qui, s'il est bien fait, décourage la
fête. Seul un symbole peut être commémoré,
car, à la lettre il est jeté (bole= ballein=jeter) avec (sun) une
Idée à laquelle il renvoie.
Ce
sont les idées de liberté, et de laïcité,
qui seront célébrées à travers cette commémoration
des 400 ans de l'Edit de Nantes.
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Cela
n'est possible que parce que des éléments de l'Edit
de Nantes semblent suggérer ces deux idées de liberté
et de laïcité que nous voyons en germe dans l'Edit
de Nantes. on ne voit que ce qu'on veut voir...
C'est
la paix, par la coexistence de personnes différentes,
que nous semble avoir réalisé l'Edit de Nantes.
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Au
revoir.
Oui-oui:
Eh! le paradoxe de la mémoire!
Hibou:
il n'y en a pas, tu l'as très bien dit: les personnes et les
livres se sont tues pendant des dizaines d'années. Tant que
"c'est frais", pour recommencer à vivre ensemble,
l'oubli
s'impose sous peine de voir la fureur de la guerre
civile renaître. Henri IV le sait et le dit.
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Cinquante
ans après, il est temps de se rappeler car l'éloignement, la
disparition des témoins finiraient par estomper l'horreur des
massacres. Henri IV l'accorderait. Louis XIV
a-t-il compris qu'une victoire excessive, n'est que le masque
d'une défaite?
L'oubli,
paradoxalement, doit être conscient et vigilant: il empêche la
vengeance mais laisse intact le souvenir: ne pas faire "comme
si" on oubliait, ferait renaître les conflits.
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