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Le beau et la représentation.
Quand on dit qu'une oeuvre est représentation, ce peut
être au sens de reflet d'un modèle naturel donné ou résultat
d'une activité originale, d'un style d'une manière de voir. Dans
le premier cas la représentation est une simple image, le
redoublement d'une apparence: le sensible est présenté une
seconde fois (vu, puis reproduit). La représentation devient
alors le résultat d'une double déformation, d'un double
aveuglement: l'image comme forme sensible d'une chose et la représentation,
la peinture de cette chose. La représentation serait alors
l'apparence d'une apparence sans que rien ne puisse indiquer en
elle le coefficient de déformation qu'elle porte en soi si le modèle
ne peut jamais être atteint. Kant écarte cette première
acception qui fait de l'œuvre une mauvaise peinture en affirmant
que l'art n'est pas la représentation d'une belle chose. Il écarte
le problème de la participation au Beau et centre la recherche
sur l'origine de la représentation: dire que le beau est la belle
représentation d'une chose c'est donner à l'art la caractéristique
essentielle d'être une activité créatrice ayant pour fin une
"belle
représentation".
Si l'art est la belle représentation d'une chose il vise la
production du beau qui ne peut relever que de l'artiste, d'un
style, d'un génie: cela revient à faire varier l'essence même
de la représentation: c'est bien moins un effort de reproduction
qu'un effort de production, de création. L'art devient de ce fait
inséparable de l'œuvre belle. La représentation peut bien désigner
alors la figuration consciente de l'extériorité ou de l'intériorité,
mais dans les deux cas sa vérité est celle de la subjectivité
créatrice.
Le beau est donc, selon la remarque de Kandinsky, ce qui est beau
intérieurement.
C'est dire que l'art exprime ce qui s'éprouve soi même hors de
toute distance, immédiatement: la belle représentation ne serait
donc plus la peinture du visible mais, si l'on peut dire,
l'expression de l'invisible, de l'intériorité, de ce qui ne
pourra jamais être vu. C'est dire que la subjectivité de
l'artiste constitue le "lieu"
où se manifeste et s'accomplit la vérité de l'art. Le contenu
et la forme de l'oeuvre relève de la subjectivité affranchie du
devoir de représenter une nature matérielle morte qui lui préexisterait
et lui dicterait le contenu et la forme faisant ainsi disparaître
le beau.
Le beau n'accompagnerait la représentation que grâce à la
"manière",
au style de l'artiste. La représentation est belle quand elle
devient expression: le beau c'est une forme déterminée par un
contenu invisible.
C'est
reconnaître l'artiste comme capable d'une activité dans laquelle
la liberté s'oriente vers la vérité d'un monde nouveau dans
lequel il représente sa quête de l'infini, dans lequel il mire
son intériorité.
Le
beau n'est donc pas le lieu de la règle mais le lieu des idées,
d'une finalité sans fin, irrécupérable par les dogmatismes,
comme si l'œuvre belle n'avait d'autre fin qu'elle même, symbole
de l'harmonie que seule la liberté partagée peut tisser dans
l'humanité.
Autant dire que
l'artiste est le créateur par qui apparaît un monde des
possibilités qu'il porte en lui, celui de la vie, de ce qui s'éprouve
soi-même et donne forme à la vie en produisant une oeuvre
vivante. Il
ne copie pas la nature (à
quoi bon?), il n'abdique rien parce que le soi ne peut se séparer
de soi: il donne la vie en enfantant la beauté, la vie de l'œuvre
qui se recueille en elle-même dans sa plénitude comme si
l'artiste donnait à voir l'invisible.
Si l'artiste n'imite pas la nature, il crée un monde
où la vie s'éprouve dans la jubilation partagée du créateur et
de l'amateur de. Voilà pourquoi l'artiste élargit notre capacité
d'admiration, il nous fait comprendre la nature en peuplant ce
"cadavre de Dieu", en rassemblant les vivants.
Sans concept, la
beauté ne se prouve pas:
la beauté n'a de but qu'elle-même et, comme la Vie, comme
l'existence, elle est gratuite, c'est un don. Parce qu'elle n'a de
but qu'elle même comme la vie elle est immortelle: "comme
un rêve de pierre"?
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Citations
(lien ouverture nouvelle fenêtre)
"Le
beau est ce qui est représenté, sans concept, comme l'objet
d'une satisfaction universelle" Kant Critique du jugement
p.46, Vrin
"Le beau se définit comme la manifestation sensible
de l'idée." Hegel Esthétique, p.160, Flammarion
"L'art
a toujours pour fonction de créer un monde où l'esprit soit chez
soi et qui soit à sa mesure" H. Delacroix Psychologie de
l'art p.161
"L'art
vise à imprimer en nous des sentiments plus qu'à les
exprimer" H. Bergson, Essai sur les données immédiates
de la conscience p.14
"Le propre de l'art c'est de donner une forme à ce monde de
possibilités que nous portons au fond de notre conscience"
Lavelle Traité des valeurs II, p.329
Pistes
de lecture:
Kant: Critique du jugement (on s'aidera de l'excellent commentaire
de Louis Guillermit, lectoguide, Editions Pédagogie Moderne)
Hegel: Esthétique
H. Delacroix: Psychologie de l'art
M. Henry: Voir l'invisible sur Kandinsky
M. Haar: L'oeuvre
d'art. |