Autour
des deux mots
La
matière et l'esprit
sont deux éléments, deux dimensions, auxquels les sujets
que sont le corps et l'âme
participent tout en assumant des activités que présentent
le cerveau et la conscience.
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On distingue la matière et le corps en ce que le corps est une
organisation de portions de matière, du point de vue d'un sujet;
un système constitué en fonction d'un être individuel,
indivisible.
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De même, on distingue l'esprit et l'âme en ce que l'âme est
l'esprit d'un sujet, d'une conscience ou si l'on préfère d'un
moi: on peut dire que l'âme est immortelle, cela a un sens mais
dire que l'esprit est immortel n'a pas de sens.
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Le rapport du corps à la matière (comme celui de l'âme à
l'esprit) est celui du composant au composé, du fabriqué au
constitué, avec tout le mystère de la genèse constituante. De
ce fait si ni le corps ni l'âme ne sont réductible immédiatement
et clairement à la matière et à l'esprit, il reste que réfléchir
sur le corps et sur l'âme c'est aussi réfléchir sur la matière
et l'esprit: l'assomption de la matière comme corps à la fois
objet pour autrui et sujet pour moi et la transfiguration de
l'esprit en cette résonance unique, cette balance intérieure qui
résume l'âme en un seul soupir et pourtant rejoint les autres âmes.
Comprendre que, je suis mon corps, c'est mon corps propre et
pourtant il est un objet du monde pour celui qui le regarde;
d'autre part l'âme par son intelligence se particularise et par
la pensée rejoint la pensée des autres.
"L'activité
cérébrale est à l'activité mentale ce que les
mouvements du bâton du chef d'orchestre sont à la
symphonie. La symphonie dépasse de tous côtés les
mouvements qui la scande; la vie de l'esprit déborde de
même la vie cérébrale." Bergson, L' Âme et le
Corps.
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II.
Le parcours: question préalable, effort de définition.
La
tentation est grande de suivre le chemin de la question
préalable, de poser la définition de la matière, puis
celle de l'esprit pour en déduire leur ressemblance,
leur différence et leur relation, au risque de nous
embarquer dans un processus de théorie et d'expérimentation
à l'infini ou pire de nous noyer dans le ciel de la métaphysique.
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La matière
La
matière peut se déterminer comme un composé de molécules: les
molécules sont composées d'atomes: les atomes sont des systèmes
d'électrons en mouvement autour d'un noyau formé de neutrons et
de protons. La matière serait donc de l'énergie condensée dans
le noyau atomique. Matière et lumière relèveraient d'une entité
à deux faces, ondulatoire et corpusculaire. C'est dire que la mécanique
ondulatoire prescrit la probabilité là où, au XIX è siècle,semblait
triompher le déterminisme. Reste que comme composé et comme
ensemble de mouvement, la matière se prête à l'analyse comme à
la détermination approximative de paramètres (mesures) qui
permettent l'explication, la mise en évidence d'un processus
causal antécédent et la prévision. Dès lors dans ce
fonctionnement mécanique, la liberté n'a pas sa place: c'est le
royaume du hasard et de la nécessité.
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L'esprit
A
l'opposé, semble-t-il, l'esprit se pense comme principe ou élément
constitutif de la pensée et de l'activité réfléchie. c'est
dire du même coup que l'essence de l'esprit comme de la pensée
c'est la liberté, l'imprévisibilité:
l'esprit est puissance de création comme mouvement qui ne
fabrique pas en répétant, mais qui pousse en avant, qui agit. A
vrai dire, l'esprit n'est point car il est toujours plus que ce
qu'il est.
N'étant
pas déterminé par ce qui le précède, il ne relève pas d'un
processus causal antécédent et ne saurait donc être
expliqué. C'est un acte qui s'accomplit et qu'il est impossible
de définir: parce qu'il est création, il désespère toute prévision,
il souffle où il veut puisqu'il peut toujours tirer de lui même
plus qu'il ne contient.
Notre
tentative de définition nous laisse dans l'embarras
devant un dualisme radical de ce qui semble ne devoir,
idéalement, ne jamais se rencontrer et qui pourtant se
rencontre quotidiennement dans l'obscurité d'un mystère,
le mystère de l'incarnation de l'âme dans un corps:
pour nous tout esprit est incarné.
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Et
l'expérience vécue ne nous donne jamais qu'un esprit incarné
une âme et un corps tellement unis que le sort de l'un semble
bien accompagner le sort de l'autre au point que l'enjeu de toute
réflexion sur la matière et l'esprit semble être, à la fin du
compte l'immortalité de l'âme ... des plus problématique.
Des
deux définitions opposées nous ne pouvons déduire que des différences:
une sorte de monstruosité: comment ce qui semble se fuir comme
l'eau et le feu peut-il non seulement coexister mais encore avoir
un lien de causalité:
comment réduire le supérieur à l'inférieur sans avoir glissé
subrepticement le supérieur dans l'inférieur? Dire que l'esprit
est le produit de la matière n'est-ce pas encore plus fou que de
dire que la matière est produite par l'esprit, que c'est de
l'esprit détendu?
L'intelligence
qui affectionne les découpages et les enchaînements semble
exiger que nous passions du dualisme à un monisme qui
expliquerait la matière et l'esprit dans un même mouvement.
Alors, évidemment, on obtiendrait le repos de l'esprit mais à
quel prix? On a souvent fait remarquer que sans l'esprit le matérialisme
lui même n'existerait pas. |