I.
Autour du mot.
On
distinguera soigneusement expliquer, comprendre, interpréter
Alors que expliquer c'est mettre en évidence un processus
causal antécédent (la photosynthèse est un processus
produit par un processus solaire), interpréter
c'est donner un sens, par exemple à un comportement: une
signification et une fin. L'interprétation est d'ordre
intuitif, l'explication est d'ordre analytique et discursif.
L'interprétation saisit une unité au sein d'une multiplicité,
ce qui fait sens.
Exemple:
un tel sourit: il se moque (= signification) pour m'exaspérer (=
fin). cela revient à considérer autrui comme un texte écrit qui
ne peut, bien entendu, se défendre et qui est à la merci de
l'interprétation.
"Il
se ronge les ongles parce qu'il se sent coupable ...",
c'est une interprétation. "Il se ronge les ongles parce
qu'il a faim ...", c'est une tentative d'explication.
On
serait tenté d'identifier expliquer et comprendre:
et, certes, toute interprétation est, en un sens, compréhension
dans la mesure où elle prend ensemble par exemple, un regard et UN
sens, un texte et UN sens. Mais, comprendre c'est, dans un effort
d'objectivité, viser LE sens de ce sourire, de
ce texte, de ce regard. La compréhension est liée à la
recherche de la vérité, au souci de l'objectivité. Elle n'a
donc pas la liberté de l'interprétation:
Elle ne veut pas produire le sens, elle veut s'y soumettre. Elle
voudrait réduire la part de probabilité de la saisie du sens.
Autant
dire, que la compréhension a une "fin":
elle se termine dès que le sens est saisi. Alors que l'interprétation
peut toujours se développer à l'infini : parce qu'elle
est un pari de l'intuition elle restera toujours pari .
Dans
une analyse psychanalytique, le patient dépasse sans cesse
l'interprétation, dès son élaboration, puisque aucune
objectivité ne saurait l'arrêter dans la quête du sens qui se révèle
et se dérobe dans le même mouvement: c'est ainsi que la quête
du sens d'un contenu manifeste épouse un mouvement indéfini.
II.
Le parcours.
L'impossible
compréhension
La
compréhension est l'origine et la fin (= but) de toute interprétation:
on désire comprendre et on souhaite que son effort se termine
dans la saisie parfaite du sens. En ce sens il n'y a pas d'interprétation
sans compréhension désirée, sans l'idéal ou si l'on préfère
l'idée de comprendre, de saisir le sens conformément à la réalité
intérieure de l'intention.
Mais
comme le sens est de l'ordre de la subjectivité, de l'intériorité
il ne peut qu'être supposé: la vérification est impossible
puisqu'on ne voit pas les coeurs... Reste que l'interprétation ne
trouve sa mesure que dans un écart avec la compréhension.
Dans
de telles conditions, ce qui existe réellement
c'est l'interprétation plus ou moins adéquate à l'intention.
L'interprétation est donc une compréhension qui doit se fier à
l'intuition avec tous les risques que cela comporte.
L'interprétation se fonde sur l'existence supposée d'un coeur
intelligent qui pourrait connaître avant même d'avoir
analysé. On ne chercherait que ce que, d'une certaine manière,
l'on connaîtrait déjà.
Comment
l'interprétation pourrait-elle échapper aux choix et aux intérêts
de celui qui interprète?
Quel
serait le critère de l'intuition bien ajustée? La capacité de
l'objet choisi à éclairer, à mettre en lumière le sens et
l'orientation des phénomènes, leur unité originaire au sein de
la multiplicité.
L'interprétation
est donc le résultat d'un acte intuitif qui prend dans tel ou tel
sens, qui traduit un texte pour en exprimer le sens au
risque de le trahir. Mais qui pourra mesurer le degré de la
trahison, si le sens n'apparaît que par l'interprétation?
Certainement pas par le moyen d'une autre interprétation ou par
une succession d'interprétations.
=>
Que toute vérité humaine est hypothético déductive c'est ce
que nous révèle la réflexion épistémologique. Mais, l'expérimentation
permet de falsifier l'hypothèse ou de la confirmer.
=> Que toute recherche sur le sens procède d'une croyance,
d'une intuition qui pose le sens et s'épuise dans un effort pour
comprendre ce qu'elle a posé en tentant de l'élucider par une
analyse rigoureuse, nous aide à saisir que le sens est donné
comme ce qui doit être sans cesse repris par l'interprétation
comme dans un cercle d'une soumission conquérante.
Humilité de l'homme qui n'est pas le maître du sens et vérité
grâce à une reprise.
Si
la science est hypothèse et vérification à l'infini, l'herméneutique
est intuition à l'infini dans un cercle entre la synthèse
et l'analyse dont elle ne saurait sortir: pourtant, au creux de ce
cercle, jaillit une fécondité surprenante et avec elle
l'entreprise philosophique dans laquelle c'est le même qui sait
interroger et qui sait répondre, qui trouvera toujours des
raisons de douter au coeur même des raisons de croire:
surgissement d'une liberté.
=>
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