I-
Devoir est d'abord un verbe qui signifie être tenu
par une obligation morale.
- Être tenu par
un lien bien particulier: il ne s'agit pas d'une nécessité, d'un
déterminisme, d'un processus causal antécédent ou d'un intérêt
sensible, car ce serait réduire le devoir à un effet de la
nature, à une conséquence qui ne pourrait pas ne pas être.
- Il ne peut y
avoir devoir sans liberté, hésitation, choix: à quoi bon
prescrire ce qui serait inévitable? La contrainte supprimerait la
liberté et donc l'idée même de devoir: le devoir exige ce qui
doit être accompli et n'existe que par sa distinction avec ce qui
est nécessairement accompli.
II-
Le devoir, comme nom, désigne une exigence morale, un lien
(on est tenu), qui n'est pas de l'ordre contraignant du nécessaire
mais de l'ordre de l'obligation: un lien entre une action à
accomplir et une loi morale qui commande absolument, indépendamment
des jouissances de la vie.
III-
Avec le devoir
apparaissent de manière indiscutable:
- La
distinction entre deux domaines, celui de la nature et
celui des lois morales au contraire des lois de la nature, les
lois morales peuvent être violées.
(voir le texte de Rousseau, dans Le
Contrat social au Livre I, chapitre III, Rousseau distingue
le domaine de la nature et celui des valeurs morales: si les lois
morales peuvent être violées il est de l'essence des lois de la
nature de ne pouvoir être violées.
Il y a une différence d'ordre. Au contraire des lois de la nature
qui sont nécessaires, l'obligation morale suppose le devoir comme
exigence de la conscience et aussi le pouvoir de s'y soustraire.
(Je donne ma bourse au brigand parce que je suis contraint: il est
évident que je n'y suis pas moralement obligé.)
Pour Rousseau la politique s'enracine dans le domaine de la
morale. La punition n'a de sens que si je suis libre d'obéir
et de désobéir. (Sur le plan physique comme sur le plan
psychique).
- La grandeur et la dignité de l'homme: grandeur
d'une volonté capable de dominer la nature, capable de liberté.
C'est que le devoir est un rapport entre un acte et la conscience
qu'il faut agir de cette manière parce
que c'est bien et uniquement pour cette raison. Le
devoir n'est pas dans un acte mais dans le rapport entre l'acte et
la pureté d'un intention, l'absence de mélange avec le sensible
naturel. C'est donc le seul reflet dans l'acte d'une exigence
morale qui permet de la qualifier: c'est
mon devoir. Autant dire que le devoir est un
mouvement de consentement à ce qu'il y a de plus pur en nous, à
ce qui est le plus authentiquement nous-mêmes, mouvement qui va
des mobiles d'un acte à l'acte lui même.
- Cette
obéissance à la loi morale manifeste la dualité de
l'homme comme être raisonnable sensiblement affecté et donc son
appartenance à deux mondes: le monde sensible de la conscience
immédiate soumis à des mécanismes naturels, par exemples les
besoins, et le monde intelligible, le monde de la liberté de se
soumettre aux "lois pures pratiques de sa propre raison"
(Kant).
Bien comprendre
en quoi il y a liberté. L'impératif moral émane de ce que je
reconnais comme moi authentique: j'affirme ce qu'il y a en moi de
véritablement humain: l'acte est donc en rapport avec le plus
pure expression de moi: c'est la définition de l'acte libre qui a
sa source dans la seule raison expression de mon humanité.
IV-
Le devoir est donc lié
au désintéressement absolu car tout intérêt sensible
lui ferait perdre son caractère essentiel: ce ne serait qu'un nom
pour désigner le déterminisme
naturel (lien ouverture nouvelle fenêtre)
de ce qui est relatif à autre chose que lui, par exemple tricoter
des pulls bien chauds pour être reconnu, pour paraître un
bienfaiteur aux yeux des autres.
Le devoir est
donc sa propre raison d'être ou n'est pas: l'acte ne peut être
conforme au devoir que s'il a le devoir lui même pour seule
raison d'être: or ce qui a sa raison d'être en soi est absolu.
Par exemple: lorsque quelqu'un va au secours d'un accidenté dans
une voiture qui peut à tout instant s'enflammer, il le fait
simplement par devoir, parce qu'il faut le faire: ici "il
faut" ne marque pas la nécessité, la relativité d'un déterminisme,
mais le devoir dans sa pureté indépendamment
de tout intérêt sensible.
La caractéristique essentielle du devoir est donc la pureté, le
désintéressement.
==>
Problème: devoir et bonheur? Devoir ou bonheur?
En opposant les maximes de la prudence (impératifs hypothétiques)
et la loi du devoir (Impératif catégorique
Kant), on a gagné la liberté et la dignité mais, n'a-t-on pas
perdu le bonheur: le désir du bonheur n'est -il pas toujours
sacrifié par le devoir? Le bonheur n'est-il pas définitivement
compromis? Peut-on articuler devoir et bonheur, sans rire?
Pour répondre à une telle question, un détour s'impose, la
question préalable: qu'est-ce que le bonheur? |