-Les
sept catégories de la subjectivation temps de la question
Nous
avons identifié sept causes de la subjectivité :
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Le substantialisme est la subjectivation déterminée par les matériaux
génidentitaires de l' hérédité biologique, dont la représentation
oscille entre l'universalisme d'une communauté de matériaux (chez
Homo sapions sapiens) jusqu'aux divers degrés du différentialisme
biologique en fonction des groupes d'appartenance (famille, nation,
ethnie, religion, etc.).
La subjectivité est déterminée par la matérialité biophysique
à ses différents niveaux d'organisation (atomes, molécules, cellules,
organes et tissus, etc.). Dans ce biologisme héréditariste, le déterminisme
de la subjectivité est supporté par diverses substances qui, selon
les temps et les lieux. peuvent être sang, lait maternel, cerveau,
coeur, couleur de la peau, os, groupe sanguin; chromosomes et gènes,
acides aminés, les « marqueurs du soi » du système immunologique
d'histocompatibilité (HLA: Human Leucocyt Antigen) (29). Jusqu'au
XVIII è siècle de manière savante, aujourd'hui encore de manière
populaire, les théories des complexions humorales, ces descriptions
médicales de la subjectivité fondées sur la théorie aristotélicienne
qualitative des éléments, permettaient d'anticiper et
d'expliquer conduites et maladies (le sanguin, le flegmatique,
etc.). «Sa physionomie annonçait son âme ». écrivait Voltaire.
Les modèles de neuro-anatomie fonctionnelle de John C. Eccles décrivant
l'évolution de la conscience du point de vue phylogénétique, ou
celui du neurologue Antonio R. Damasio décrivant les bases matérielles
du « Sentiment
même de soi » sont des
tentatives savantes. en partie substantialistes, de fondation de la
subjectivité (30).
Dans sa phénoménologie de l'imaginaire des éléments. Gaston
Bachelard estimait que la matière elle-même, sans causalité,
pouvait être subjectivante: «N'y a-t-il pas une individualité en
profondeur qui fait que la matière, en ses plus petites parcelles,
est toujours une totalité?» (31).
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Pour le fonctionnalisme, la matérialité des composants étant nécessaire
mais insuffisante, la subjectivité est l'effectivité des
fonctions biologique, (corticale, cardiaque, respiratoire,
locomotion, etc... ou psychologiques (intelligence. émotions, communication,
etc.). Organicisme et fonctionnalisme (s'opposent à la fois sur la
fonction subjectivante de la matière et sur la nature de la désubjectivation
qui définit la mort, un cœur artificiel remplaçant un cœur
naturel défaillant ne modifiant en rien la subjectivité pour le
second. Dans l'opposition «centralisme versus polycentrisme» le
sujet et assimilé à certains organes ou fonctions privilégié,
(souvent cœur ou cerveau) ou à tous, la cessation du
fonctionnement du cœur (cardiocentrisme) ou du cerveau (céphalocentrisme)
signant la désubjectivation du corps et le moment de la mort. Dans
le polycentrisme, seule la cessation de toutes les fonctions signe
la mort du sujet. On constate Lille opposition similaire entre «intégralisme
versus systémisrne», la désubjectivation étant effective soit
lors de la destruction de l'intégralité des organes et tissus ou
de leurs fonctions, soit lors de la destruction d'un sous-système
biologique essentiel (par exemple le système nerveux).
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Dans la causalité par la relation (environnementalisme,
culturalisme, historicisme, ) la subjectivité est un effet de l'épigenèse,
inscrite dans les temps et espaces contingents des contextes sociohistoriques,
des relations écologiques et sociales avec les groupes
d'affiliations (parents, famille, voisinage, etc.). Elle est souvent
ramenée à celle du langage, structure symbolique par excellence de
la pensée référentielle, déterminant les représentations des
sujets.
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Dans la causalité personnaliste (ipséiste ou monadologique), la
subjectivité est cause d'elle même, elle se construit ou se déploie
de manière autonome dans une liberté plénière.
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L'interactionnisme (hérédité/individu/société) allie en
proportions diverses les trois causalités précédentes, héréditarisme
biologique, déterminisme social -historique et autonomie du sujet.
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La causalité stochastique se caractérise par l'absence de cause
attribuable à la subjectivité, jetée dans l'existence comme fruit
du hasard et des multiples contingences et arbitraires de son
existence (de la conception à la disparition, tout est hasard).
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Dans la causalité métaphysique ou religieuse, le sujet est le
projet d'une divinité (Dieu, dieux, astres, etc.), ou d'une rétribution
automatique des actes des vies anthumes, comme le suggère le
concept de karma hindouiste ou bouddhiste (32).
(29)
Jean Bernard, Marcel Bressis et Claude Debru. Soi et non-soi. Des
biologistes, médecins. philosophes et théologiens s'interrogent,
Paris. Seuil. 1990.
(30) John C. Eccles, Evolution du cerveau et création de la
conscience. À la recherche (le la vraie nature de l'homme, Paris,
Fay ard. 1989 et Antonio R. Damasio, Le Sentiment même de soi.
Corps, émotion, conscience, Paris, Odile Jacob, 1999.
(31) Gaston Bachelard, L'Eau et les rêves, Essai sur l'imagination
de la matière, Paris, José Corti, 1942
, p. 3.
(32) Guy Bugault, L'Gicle
pense-1-elle ?, Paris, PUE 1994, p. 145
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