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Les
sept catégories de la subjectivation temps de la question
«Je sens, donc je suis».
L'auto-affection constitue la phénoménalité
essentielle et première du vivant, de la chair (15). Je suis ce que
j'éprouve. Le sujet se manifeste à lui-même et s'expérimente en
tant qu'effet immédiat de l'auto-affectivité du vivant, du contact
de soi à soi jailli de l'éprouvé des polarités perceptuelle
(plaisir/douleur), éthique (bien/mal), esthétique (beau/laid) et
hygiénique (propre/sale), et de toutes les autres dimensions évaluatives
oppositives, sources de variations et de différenciations
(chaud/froid, vie/mort, etc.), dans l'expérience de l'éprouvé
charnel de soi, d'autrui et du monde. La vie subjective s'y
manifeste comme une passivité radicale, un éprouvé immédiat
essentiel des perceptions, des émotions issues de toutes les
modalités sensorielles de l'espace-temps du corps propre immergé
dans l'écologie de ses environnements singuliers (toucher,
vision, odorat, goût, ouïe, proprioception). Passivité, donation,
éprouvé de l'auto-affection, émotion, le facteur est
associé au pôle
récepteur, féminin, de l'existence. Il dessine une présence de
soi à soi dans le présent du ressenti, une ipséité monadologique
dans laquelle l'éprouvé subjectif d'ego est incommunicable à
alter en tant qu'éprouvé subjectif, autoaffection de soi par soi
et par le monde du soi.
La
recherche du plaisir (l'attirance, le désir) ci l'évitement de la
souffrance (la répulsion, le rejet) définissent les deux
mouvements essentiels du sujet vivant sur ce facteur, la recherche
de la disparition de ce facteur de subjectivation passant par la
minimisation des oscillations des épreuves sur les dualités
constitutives des sensations, puis leur suspension ou leur cessation
définitive. Les deux attitudes sont l'ascèse, qui vise le retrait
du sujet du mouvement pendulaire du plaisir et de la souffrance, ou
l'acceptation joyeuse, nietzschéenne, du don de la vie jusque dans
ses extrémités (16).
Les
techniques d'ascèse, qui prônent le retrait des sens, la
pacification et l'ajustement réglé des appétits, aboutissent peu
ou prou à l'apathie, à l'ataraxie stoïcienne (pour rester dans la
sphère occidentale) et apparaissent comme autant de techniques
d'existence produisant un désengagement du sujet de l'épreuve même
de la vie qu'est l'autoaffection. Les philosophies de la patience,
de la donation (17) et de l'incarnation (18) construisent une
subjectivité fondée sur l'acceptation de l'éprouvé de la vie
telle qu'elle est donnée dans sa transcendance (divine) pour le
premier, et dans son immanence autant nietzschéenne que chrétienne
pour le second. Les philosophies de l'hédonisme recherchent l'évitement
de la polarité négative et l'accomplissement de la polarité
positive, alors que les philosophies doloristes trouvent dans la
souffrance même du vivant sa rédemption morale.
(14)
La dénomination grecque des facteurs souligne leur fonction de
catégorie conceptuelle. (15) Michel Henry. Incarnation. Une
philosophie de la chair, Paris. Seuil, 2000.
(16) Bernard Edelman, Nietsche. Un continent perdu, Paris, PUF,
1999.
(17) Jean-Luc Marion, Réduction et donation. Recherches sur Husserl.
Heidegger et la phénoménologie, Paris. PUF, 1989.
(18) Michel Henry. Incarnation. Une philosophie de la chair, op,
cit.
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