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La
catégorie, c'est le concept de la pensée qui, se pensant, se
reconnaît comme déjà déterminé avant toute pensée de quelque
chose. La subjectivation est le processus psychologique, social
historique par lequel une subjectivité s'apparaît et se reconnaît
elle-même (ou une autre) en tant que sujet. Les facteurs de
subjectivation sont les catégories ou traits logiques, sémantiques,
constitutifs du concept de sujet, les vecteurs sont les facteurs
lorsqu'ils sont empruntés, parcourus, expérimentés, travaillés,
approfondis, dans le temps et dans l'espace de la vie du sujet.
L'ensemble des facteurs forme le référentiel de la subjectivation,
la structure du sujet vivant, les vecteurs en forment l'histoire
et la géographie.
Deux
raisons majeures s'opposent à la prétention d'écrire une table
exhaustive des catégories de la subjectivation. Une raison épistémologique: Éric Weil a démontré l'illusoire d'une telle démarche en raison
de l'impossibilité de définir a priori un métalangage absolu et
définitif sur la subjectivité («le
langage de tous les langages d'une logique de la subjectivité»)
(3). Les tables des catégories des auteurs de table ne s'appliquent
guère aux catégories décrites dans leur propre table. Une raison
historique ensuite: les catégories de la subjectivation
constituent les facteurs/vecteurs de l'expérience, de la
connaissance et de la re-connaissance de soi et d'autrui, et ne
sauraient être limitées a priori en raison même de l'inscription
historique de la subjectivité dans l'histoire biologique et culturelle
du vivant. Les processus de subjectivation (perception, volonté,
connaissance, etc.), et les états de subjectivité qu'ils génèrent
sont des fonctions historiques (4). Le travail inachevé de Michel
Foucault, disciple encore insoupçonné d'Ignace Meyerson, fonde une
véritable psychologie historique de la subjectivité et des
pratiques de subjectivation, dans un premier temps sur la dimension
de l'aliénation et de la domination du sujet, dans un second temps
sur la liberté et la gouvernementalité, avec « les techniques
d'existence » et «les arts de soi-même» (5). La subjectivité
est une fonction psycho-biologique autant qu'une œuvre historique
issue du processus autopoïétique du vivant humain (6), qui soit célèbre
la grandeur du Dieu créateur d'une civilisation occidentale pétrie
du judaïsme et du christianisme (« Je suis celui qui suis »),
soit signe l'erreur de la séparation et de la dualité entre soi
et le monde pour la civilisation orientale. C'est pourquoi les
attitudes
vis-à-vis des modalités de la subjectivation - liberté du choix
des représentations et des
actions
de la subjectivité - ne sont pas un donné transhistorique offert a
priori à Homo sapiens sapiens, mais une conquête social-historique
des sociétés démocratiques engagées dans leur conquête
d'autonomie (7).
L'attitude subjective est l'effet de la dynamique
de la subjectivation, la possibilité d'un positionnement du sujet
sur l'espace du référentiel, elle se définit par les facteurs
pris en compte (présence/absence du vecteur pour tel sujet), et les
vecteurs effectivement expérimentés, et la hauteur de la
position du sujet sur la polarité de chacun des vecteurs en
fonction d'une métrique donnée (échelle de mesure). L'attitude témoigne
de la possibilité d'un jeu - au sens mécanique de la mobilité, du
disjointement - au niveau individuel avec le déploiement, la
construction ou le dévoilement d'un soi, au niveau social, avec le
positionnement différentiel des sujets sur l'espace référentiel.
Ce sont ces écarts, ces « jeux du je » que créent culture et
histoire, structures et dynamiques sociales, dispositions, positions
et trajectoires personnelles, que tente d'étudier la psychologie
sociale.
(3)
Éric Weil, Logique de la philosophie, Paris. Vrin, 1974, pp.
146-147.
(4) Ignace Meyerson, Les Fonctions psychologiques et les oeuvres.
Paris, Vrin, 1948 ; La Personne, Paris. Mouton, 1961.
(5) Michel Foucault, L'Herméneutique du sujet. Cours du Collège de
France. 1981-1982, Paris, Gallimard/Seuil, 2001.
(6) Francisco Varela, Evan Thompson et Eleanor Rosch, L'Inscription
corporelle de l'esprit. Sciences cognitives et expérience humaine,
Paris, Seuil, 1993.
(7) Cornelius Castoriadis, « L'État du sujet aujourd'hui » in Les
Carrefours du labyrinthe. Volume III : Le Monde morcelé. Paris,
Seuil. 1990.
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