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C'est à quel sujet ? 

Un référentiel des catégories de la subjectivation 

par Philippe Oliviero - Université René Descartes - Paris V

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  • 3) Les catégories de la subjectivation

La catégorie, c'est le concept de la pensée qui, se pensant, se reconnaît comme déjà déterminé avant toute pensée de quelque chose. La subjectivation est le processus psychologique, social historique par lequel une subjectivité s'apparaît et se reconnaît elle-même (ou une autre) en tant que sujet. Les facteurs de subjectivation sont les catégories ou traits logiques, sémantiques, constitutifs du concept de sujet, les vecteurs sont les facteurs lorsqu'ils sont empruntés, parcourus, expérimentés, travaillés, approfondis, dans le temps et dans l'espace de la vie du sujet. L'ensemble des facteurs forme le référentiel de la subjectivation, la structure du sujet vivant, les vecteurs en forment l'histoire et la géographie. 

Deux raisons majeures s'opposent à la prétention d'écrire une table exhaustive des catégories de la subjectivation. Une raison épistémologique: Éric Weil a démontré l'illusoire d'une telle démarche en rai­son de l'impossibilité de définir a priori un méta­langage absolu et définitif sur la subjectivité («le langage de tous les langages d'une logique de la subjectivité») (3). Les tables des catégories des auteurs de table ne s'appliquent guère aux catégories décrites dans leur propre table. Une raison historique ensuite: les catégories de la subjectivation constituent les facteurs/vecteurs de l'expé­rience, de la connaissance et de la re-connaissance de soi et d'autrui, et ne sauraient être limitées a priori en raison même de l'inscription historique de la subjectivité dans l'histoire biologique et cul­turelle du vivant. Les processus de subjectivation (perception, volonté, connaissance, etc.), et les états de subjectivité qu'ils génèrent sont des fonctions historiques (4). Le travail inachevé de Michel Foucault, disciple encore insoupçonné d'Ignace Meyerson, fonde une véritable psychologie histo­rique de la subjectivité et des pratiques de sub­jectivation, dans un premier temps sur la dimen­sion de l'aliénation et de la domination du sujet, dans un second temps sur la liberté et la gouvernementalité, avec « les techniques d'existence » et «les arts de soi-même» (5). La subjectivité est une fonction psycho-biologique autant qu'une œuvre historique issue du processus autopoïétique du vivant humain (6), qui soit célèbre la grandeur du Dieu créateur d'une civilisation occidentale pétrie du judaïsme et du christianisme (« Je suis celui qui suis »), soit signe l'erreur de la sépara­tion et de la dualité entre soi et le monde pour la civilisation orientale. C'est pourquoi les attitudes vis-à-vis des modalités de la subjectivation - liberté du choix des représentations et des actions de la subjectivité - ne sont pas un donné transhistorique offert a priori à Homo sapiens sapiens, mais une conquête social-historique des sociétés démocratiques engagées dans leur conquête d'autonomie (7).

L'attitude subjective est l'effet de la dynamique de la subjectivation, la possibilité d'un positionnement du sujet sur l'espace du référentiel, elle se définit par les facteurs pris en compte (présence/absence du vecteur pour tel sujet), et les vecteurs effectivement expérimentés, et la hauteur de la position du sujet sur la polarité de chacun des vecteurs en fonction d'une métrique donnée (échelle de mesure). L'attitude témoigne de la possibilité d'un jeu - au sens mécanique de la mobilité, du disjointement - au niveau individuel avec le déploiement, la construction ou le dévoilement d'un soi, au niveau social, avec le positionnement différentiel des sujets sur l'espace référentiel. Ce sont ces écarts, ces « jeux du je » que créent culture et histoire, structures et dynamiques sociales, dispositions, positions et trajectoires personnelles, que tente d'étudier la psychologie sociale.

(3) Éric Weil, Logique de la philosophie, Paris. Vrin, 1974, pp. 146-147.
(4) Ignace Meyerson, Les Fonctions psychologiques et les oeuvres. Paris, Vrin, 1948 ; La Personne, Paris. Mouton, 1961.
(5) Michel Foucault, L'Herméneutique du sujet. Cours du Collège de France. 1981-1982, Paris, Gallimard/Seuil, 2001.
(6) Francisco Varela, Evan Thompson et Eleanor Rosch, L'Inscription corporelle de l'esprit. Sciences cognitives et expérience humaine, Paris, Seuil, 1993.
(7) Cornelius Castoriadis, « L'État du sujet aujourd'hui » in Les Carrefours du labyrinthe. Volume III : Le Monde morcelé. Paris, Seuil. 1990.
 

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