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Les
sept catégories de la subjectivation temps de la question
"Il
reste à faire le négatif le positif nous est déjà donné."
Franz Kafka
Négation
en grec, ce vecteur de subjectivation est paradoxal puisqu'il s'agit
de dé-subjectiver ce qui a été subjective, de faire disparaître
la subjectivité. Avec des objectifs radicalement différents,
quatre champs sociaux utilisent des techniques de désubjectivation
: épistémologie et mystique sont des voies de désubjectivation
proposée, industries, commerce biologique et contrôle social, des
techniques imposées de désubjectivation.
a)
Désubjectivation proposée
En
épistémologie, lorsque le sujet du savoir atteint les limites du
savoir, établit qu'il ne peut plus rien dire en raison des limites
du langage, assume l'entrée dans les états de non savoir
(questionnements,
doutes), possède 1a certitude qu'il n'y a plus rien à savoir, que
l'on sait que l'on ne sait pas, comme le formule la proposition 7 du
Tractatus de Ludwig Wittgenstein: «Ce dont on ne peut parler
il faut le taire» (57). Questionner, douter, nier, etc., sont des
postures intellectuelles d'insistance, qui évident l'ek-stase du
monde, cette positivité lâche qui se donne pour toute la vérité
de l'apparaître. La négation est l'œuvre de la seule subjectivité
vivante qui troue la phénoménalité parce que c'est elle-même
aussi qui se la donne. L'insister disparaît pour laisser apparaître
l'ek-sister, mais le second ne survit pas même un instant sans le
premier.
Les
différentes voies des mysticismes religieux, juif, chrétien ou
musulman, à des titres et degrés divers proposent des voies de
discernement, de délimitation, voire l'extinction du déploiement
de la subjectivité sur tous les facteurs qui l'ont bâtie, pour
communiquer pleinement avec Dieu. «Plus il [Dieu] pense à nous
donner, plus il nous fait désirer, jusqu'à tant qu'il nous rende
tout à fait vides, afin que de la sorte il nous remplisse de ses
dons» (58). Sans aller jusqu'à la négation, l'intrication des
volontés subjectives aux projets des dieux nécessite une
limitation de l'autonomie du sujet sur certains facteurs (Pathos qui
contrôle plaisir et souffrance, Kratos, la liberté ou
l'inconscience, Logos, la connaissance et l'ignorance) au profit du
don de la volonté divine, associant alors le premier facteur
(Pathos) et le second facteur (Kratos) en un seul facteur : une
chair naturellement orientée vers l'action bonne: «Il est
certain que c'est nous qui voulons quand nous voulons, mais c'est
Dieu qui nous fait vouloir le bien» (59). Les voies ascétiques
orientales, hindouisme, bouddhisme, taoïsme, ont élaboré des
techniques systématiques de désubjectivation, tels que les différents
yogas qui, en toute logique, parcourent les différentes dimensions
de la subjectivation: pathos, sentir ne pas sentir. Kratos, vouloir
ne pas vouloir (60), Logos, savoir ne pas savoir, Hermès,
communiquer qu'il n'y a rien à communiquer. Arithmos, l'unité sans
dualité, etc.), afin de délivrer le sujet de ses propres limites.
La subjectivité, pensée et vécue comme une limitation, un
obstacle d la liberté et au bonheur, une barrière à l'atteinte de
l'absolu, doit être systématiquement déconstruite afin qu'elle
se délivre (Moksa) d'elle-même de tout ce qui la conditionne, le
savoir du non savoir est le vrai savoir (61).
(57)
Ludwig Wittgenstein, Tractatus logico-philosophicus, Paris.
Gallimard, 1961, p. 177.
(58)
Lettre XIV du Frère Jean de la Croix datée du s juillet l559, à
la mère Éléonore de Saint Gabriel, religieuse carmélite déchaussée
à Courdoue (Jean de La Croix. Oeuvres complètes. Paris, Desclée
de Brouwer, 1967).
(59) Saint Augustin, De gratia et libera arbitrio. VI, 13,
cité par Michel Terestchenko, Amour et désespoir. De François de
Sales à Fénelon, Paris, Seuil, 2000.
(60) La volontéé de Guy Bugault, L'Inde pense-telle, op. cit., p.
145,
(61) Ibid.
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