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C'est à quel sujet ? 

Un référentiel des catégories de la subjectivation 

par Philippe Oliviero - Université René Descartes - Paris V

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- Les sept catégories de la subjectivation temps de la question 

  •  La mémoire antérograde -

«Je me souviens, donc je suis». Ce facteur exprime les relations du sujet aux trois temps déterminant trois mémoires.

a) La mémoire antérograde

Elle inscrit dans le présent du corps l'histoire du sujet qui se crée au fur et à mesure de l'écoulement du temps. Elle exige un endossement, une charge de travail, un coût de production (il faut survivre, vivre), avec ses valeurs et attentes (être comme ceci, comme cela, être à la hauteur), sa différence d'avec les autres comparables (être mieux, moins bien que, etc.). En tant qu'acteur de sa propre existence, le sujet se construit, se fabrique, se réalise, se façonne (subjectivité travaillante) et en tant que spectateur, découvreur, récepteur, il est construit, fabriqué, réalisé, façonné (subjectivité travaillée). 

Le sujet et son corps sont travaillés par le déroulement de la vie même, ses vicissitudes comme ses espé­rances, par le positionnement et le marquage social des personnes (modes de vie, types d'activités professionnelles, milieux historiques et géographiques, etc.), les dispositions des sujets vis-à-vis de l'apparence de soi (vêtements, soins, etc.), l'entretien et les réparations du corps (parures, cosmétologie, alimentation, hygiène, activités physiques et intellectuelles, etc.). L'histoire du sui el façonne un sujet qui devient ce «sujet-ci». Chaque sujet, en portant et supportant la vie, en donnant présence en lui-même à la vie qui le fait vivre, produit son propre corps et sa propre psy­ché, en relation à des positions sociales et dispo­sitions personnelles. Il existe un poids de l'exis­tence, un coût à la production et à la reproduction de la vie subjective ; on s'en aperçoit lorsqu'il n'est justement plus supporté comme dans les situations de dépression, où la souplesse de la dépressivité naturelle du sujet dans ses interactions avec le monde (43), les autres et lui-même n'est plus pos­sible. Toute vie repose sur un ensemble complexe de «conditions de vie» qui, au sens propre, sont les conditions de la vie, matérielles, économiques, sociales, psychologiques ou biologiques, etc. La subjectivité travaillante, c'est cette production et reproduction de soi en tant que subjectivité incar­née qui assume sa propre existence et celle de la vie d'un corps, c'est cette dimension de la sub­jectivité productrice de soi, prise dans les contingences matérielles et sociales de l'existence - avec ses coûts, sa qualité, sa rentabilité, sa concurrence -, qui est occultée par les traitements déshumani­sants que nos sociétés font subir aux travailleurs et à leurs matériaux substitutifs lorsqu'ils sont communiqués socialement de manière anonyme, industrielle et, dans beaucoup de régions du monde, commerciale (44).

Le degré de subjectivation antérograde des matériaux varie selon l'ancienneté de la subjectivation, les subjectivités de l'embryon ou du vieillard ne sont pas alourdies du même passé, quand bien même dans certaines représentations métaphysiques et religieuses le nouveau-né apparaît comme la pour­suite d'une existence commencée depuis bien avant sa naissance (métempsycose, réincarnation, etc.). Cette remarque triviale engendre une représentation qui l'est moins : l'embryon, le fœtus ou l'enfant génèrent moins de distance et de diffé­renciation intersubjective que l'adulte, le vieillard ou le mort (45). La potentialité de subjectivation qu'offre la vie en ses débuts est souvent interpré­tée en termes de « tabula rasa », de virginité, de pureté, d'absence (ou de moindre présence) de sub­jectivité. La demande d'adoption de nourrissons est toujours plus forte que celle d'enfants en raison de cette interprétation de l'ouverture de la subjec­tivité du plus jeune en proportion du vide initial dont on la crédite. La vie jeune est d'autant moins propriétaire d'elle-même ou de ses matériaux bio­logiques que la vie ancienne qu'elle habite depuis moins de temps l'espace des chairs du corps. La subjectivité antérograde est fonction de la person­nalisation, de la charge et du poids des expériences accumulées, du droit à l'appropriation en raison de l'ancienneté de la durée de l'habiter des chairs.

(43) Pierre Fédida, Des bienfaits de In dépression. Éloge de la psychothérapie, Paris, Odile Jacob, 2000.
(44) Philippe Oliviéro, a Inter subjectivité matérielle et disponibilité des matériaux substitutifs » in Robert Carvais et Maryline Sasportcs (sous la direction de), La Greffe humaine. (In certitudes éthiques : du don de soi à la tolérance de l'autre, op. cit. 
(45) Philippe Oliviéro, « Disponibilité des matériaux corporels et thérapies substitutives » in Sciences sociales et santé, volume 15, n` 2, op, cit.
 

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