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Les
sept catégories de la subjectivation temps de la question
La
subjectivité rencontre un corps vivant fonctionnant comme système,
avec entrées, conservations plus ou moins longues, et sorties de
multiples sortes de matériaux et d'informations. À la connexité
formelle et matérielle qui assure la fermeture de l'organisme,
s'adjoint l'ouverture de l'économie de couplages, de communications
et d'échanges de matières et d'informations entre l'organisme
vivant et son milieu. Toutes les occasions de communication de matériaux
corporels questionnent la subjectivité à propos de son essence, de
sa permanence et de sa durabilité, de son identité matérielle,
substantielle (cf, facteur Hermès). Cela concerne les productions
corporelles naturellement ou artificiellement détachables, comme
les excrétions, sécrétions, phanères, exuviae, embryons, foetus.
morceaux d'organes et de tissus issus d'opérations chirurgicales ou
d'accidents, cadavres, organes, cellules somatiques ou germinales et
tissus cédés dans le cadre de la communication biologique pour les
thérapies substitutives, sécrétions sexuelles et corporelles, gamètes
communiqués lors de relations sexuelles, et tous les autres matériaux
corporels se communiquant dans le cadre des échanges sociaux
non-verbaux, comme la sueur, les échanges gazeux de l'haleine et de
la respiration, etc. Ces substances sont catégorisables et hiérarchisables
en fonction de la nature de leur subjectivation (36). Alimentation,
excrétion, sexualité, thérapies sont soumises à d'importants
rites de socialisation des subjectivités, en tant que moments de l'
ouverture du sujet incarné vivant vers autrui.
La
connexité topologique dépend enfin du niveau d'agrandissement qui
détermine la profondeur de la connaissance et donc la possibilité
d'appropriation des matériaux (atomes, cellules, organes et tissus,
fonctions, corps propre). La notion même de forme de reconnaissance
de ce qui est «humain» ou «sujet» est dépendante d'un
observateur, de ses catégories de perception, liées elles-mêmes
à la pensée catégorielle, et du grain pris en compte dans la réalité
observée, en raison des morphologies différentes du vivant présentes
aux différents niveaux d'agrandissement des observations, qui sont
un des paramètres de la définition de l'information dans la théorie
du même nom (37). La perception des phénomènes change en fonction
de l'évolution des moyens
techniques
mis en œuvre et de la définition des indices à prélever, dans la
mesure même où les techniques d'imagerie biomédicale et de représentation
des connaissances (construction d'indices mathématiques des formes
biologiques) modifient en profondeur la nature des formes perçues
naturellement. Ce passage de la perception de formes phénoménologiques
à des formes nouménologiques nécessite un long apprentissage
culturel, scientifique et perceptif, comme par exemple percevoir
une activité neuro-fonctionnelle d'un sujet humain dans une image
IRM de coupes corticales (neuro-imagerie), une activité cognitive
dans une mesure de débit sanguin cérébral (DSC), la présence
d'une subjectivité dans une image échographique d'un embryon ou
dans l'image d'un caryotype.
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La sémiologie indiciaire biologique, épistémique ou doxologique,
est un paradigme ancien, constamment renouvelé, qui concerne le
processus d'attribution de la subjectivité basé sur la définition
de traces, d'indices corporels ou psychologiques, permettant
d'instituer, à des degrés divers, des différences
intersubjectives. On doit à l'historien des mentalités Carlo
Ginzburg (38) la définition de ce « paradigme indiciaire de la sémiotique
» qu'il rattache à un paradigme protorypique, le paradigme cynégétique,
dans lequel sont mis en œuvre les comportements intelligents du
chasseur en recherche des traces animales. Il en attribue la théorisation
à l'historien de l'Art, Giovanni Morelli, spécialiste de la
recherche des faux, au romancier père de Sherlock Holmes, Sir
Arthur Conan Doyle, et au créateur de la psychanalyse, Sigmund
Freud, qui reconnaissait volontiers sa dette envers Morelli. Le
paradigme sémiologique consiste à rechercher des traces, qui
quoique imperceptibles pour la plupart des gens, seront symptômes
chez Freud, indices chez Holmes et signes picturaux chez Morelli.
Pour le spécialiste, l'herméneute, ces signes qui sont des écarts,
des faits marginaux, deviennent des révélateurs de la subjectivité,
de la singularité, de la particularité, de la différence de celui
qui les produit, le névrosé ou l'hystérique, l'assassin ou le
faussaire. La théorie de l'information et de la communication de
Claude Shannon (39) est son aboutissement mathématique, une quantité
d'information d'un message étant définie par une fonction
probabiliste de sa survenue, correspondant à la quantité de
nouveauté, d'imprévisibilité, de rareté que le message émis par
un sujet humain contient pour son destinataire.
(36)
Philippe Oliviéro, «Disponibili[é des matériaux corporels et thérapies
substitutives » in Sciences sociales et santé, volume 15, n° 3,
juin 1997, pp. 35-67 et,< Intersubjectivité matérielle et
disponibilité des matériaux substitutifs» in Robert Carvais et
Maryline Sasportes (sous la direction de), La Greffe humaine. (Ii)certitudes
éthiques : du don de soi à la tolérance de l'a litre, Paris, PUF,
2000, pp. 537-564.
(37) Murray Gell-Mann, Le Quark et le jaguar. Voyage au coeur du
simple et du complexe, Paris, Albin Michel, 1995
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