"L'être
ne se connaît que chaque fois par fragments, par perspectives. Il ne
sait pas tout ce qu'il dit lorsqu'il dit: Moi" Paul
Valéry, "Impureté" (1)
Suis-je
? ACCEPTONS provisoirement la radicalité de la vivante interrogation
cartésienne suri' existence du sujet. Un jugement d'existence
paradoxal, car le doute, jailli de la pensée pensante, vient suturer
l'interrogation et re-dépose ce sujet apaisé, nouveau-né issu de la
réponse à la question. Cette réponse en creux, née de cette forme
de négation qu'est le doute. rassérène le poseur de la question «suis-je»
?
Ek-sister ? In-sister !
L'inexistant
ne pose ni ne se pose de question, il ne troue guère la phénoménalité
du monde. Mais qui peut questionner, c'est-à-dire creuse, évide,
troue
le plein de ce qui est, de soi, des autres, du monde? À qui, plus
précisément à «quoi dans qui», s'adresse cette réponse et le
satisfait? Le savoir de l'être vient épouser les attentes de l'être
de savoir. même pour s'entendre dire que c'est au doute qu'est
confié le fondement de son savoir. À la question « suis-je ? »
est venue subrepticement s'adjoindre une modalité, un point de vue,
un «en tant que», l'être est maintenant considéré comme être
de «savoir», qui dit «je sais » (ou «je doute ») quand il
cherche à fonder« je suis » dans le« cogito ergo sum ». Nous
n'irons pas plus loin en compagnie du philosophe (2). Qu'est-ce
qu'être sujet Avant de continuer votre lecture, laissez vagabonder
un instant votre attention, et répondez pour vous-mêmes à cette
question.
Très rapidement, elle se transforme: l'existence
questionnée est celle de ses phénoménalisations, les modalités
de l'apparaître, de l'apparence de ce qu'est «être sujet», «subjectivité », qui créent, posent, imposent l'existence de
nous-mêmes et des autres pour nous mêmes et pour les autres.
Quels phénomènes, quelles apparences nous inclinent à statuer de
l'existence, à attribuer, à imputer une subjectivité à des phénomènes?
Nous questionnons ici les modalités de la prédication de la
subjectivité (prédiquer : dire quelque chose de quelque chose;
ici, dire de quelque chose qu'elle est subjectivité). qui nous
autorise à attribuer une subjectivité à des phénomènes, sujet
en philosophie, personne en théologie ou Droit, et, sous
condition, personnalité en psychologie. Ces facteurs sont non
seulement les traits sémantiques structurant la catégorie logique,
la représentation cognitive de ce qu'est « être sujet», mais
encore les vecteurs, les champs et les directions de l'expérience
subjective, les horizons de la phénoménalisation comme des
explorations et expérimentations de la subjectivité. La
subjectivité est un état, la subjectivation un processus
dynamique.
Étudier la subjectivation c'est déterminer les modes de l'apparaître
du sujet, ses phénoménalisations qui deviennent autant
d'observables épistémologiques. Qu'est-ce qui est donné au sujet
pour s'apparaître comme sujet ?
(1)
Paul Valéry. « Thêta» i» Cahiers, tome n, Paris. Gallimard,
1971, p. 635.
(2) Lire le commentaire du «videre videor» de la «Méditation
seconde» des méditations métaphysiques de Descartes par \Michel
Henry in Généalogie de la psychanalyse. Le Commencement
perdu. Paris. PUF, 1985. pp. 17-5?.
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