° Rubrique philo-fac http://www.philagora.net/philo-fac/
Jean-Marie BROHM -- Ontologie de la mort Esquisses épistémologiques pour une thanatologie qui se voudrait scientifique. - Introduction- p.1 _________________________________
- L'impensable
de la mort - p.2 INTRODUCTION "Rien n'est plus étranger ni plus noir que le coup fatal qui frappe chacun de nous. Certes, la vie elle-même n'est pas au point : quoi qu'il en soit, elle est notre demeure, c'est en elle que nous sommes présents, et il est possible de l'améliorer. En revanche, personne n'a jamais été vu présent dans la mort, si ce n'est sous forme de cadavre". Ernst Bloch*, Le Principe Espérance. Tome III : Les images-souhaits de l'Instant exaucé, Paris, Gallimard, 1991, p. 232. Michel Picard, constatant l'omniprésence de la thématique de la mort dans tous les genres littéraires - pièces théâtrales, essais, épopées, tragédies, récits légendaires, oraisons funèbres, romans, nouvelles, textes fictionnels ou poétiques, etc.-, a tenté "de montrer quelles relations étroites, presque consubstantielles, entretiennent la littérature et la mort" (1). Dans la lignée de ses travaux antérieurs - au demeurant d'une grande pertinence théorique (2) - qui définissent la littérature non pas prioritairement comme ensemble de livres (qu'évoquent les anthologies), de textes (qu'étudient les historiens ou les théoriciens de la littérature) ou de documents pour bibliophiles (qu'archivent les bibliothèques), autrement dit comme écriture, mais d'abord comme activité ludique de lecture, c'est-à-dire comme jeu imaginaire avec le langage dans l'espace transitionnel du Sujet avec la totalité complexe des temporalités qui y sont engagées (réelles, fictionnelles, fantasmatiques), Michel Picard souligne les obstacles épistémologiques auxquels est confrontée toute approche de la mort dans les sciences humaines, et particulièrement dans l'étude des textes. Le
premier obstacle selon lui est l'hégémonie d'une certaine histoire des mentalités,
même si cette école théorique a confirmé que les figures de la mort étaient
totalement contextualisées culturellement. L'histoire des "attitudes collectives
devant la mort", ou l'histoire des "modèles successifs du mourir"
(3)-
c'est-à-dire l'ensemble des représentations collectives de la mort (4),
des pratiques sociales du trépas et du deuil, des vécus thanatiques (5),
des idéologies et rites funéraires -a souvent tendance, note Michel Picard, à
prendre pour argent comptant l'idée que les représentations de la mort sont
l'"expression de la société" (d'une classe, d'un groupe), le
"reflet"de l'époque, l'"écho" d'une situation ou l'"ethos"
d'une culture. Il reste à se demander si les historiens de la mort -qui tentent à
travers une masse hétéroclite de documents, de signes, de textes, de monuments
(inscriptions funéraires, ex-voto, testaments, retables, tableaux, gravures, manuels de
dévotion, hagiographies, etc.) de retrouver "le sentiment commun",
- l'expression inconsciente d'une sensibilité collective, " le sentiment
général d'une époque (6), -le discours sur la mort qu'une époque
se tient à elle-même (7) visent bien ainsi leur objet : la
mort ? Celle-ci, au demeurant, peut-elle être conçue comme un référent
objectif ? La mort n'est-elle pas plutôt métaphorisation permanente,
allégorie, déplacement, allusion, jeu de langage ? => L'impensable de la mort - p.2 (1) Michel Picard, La Littérature et la mort, Paris, PUF,
1995, p. 3. On trouvera une thèse analogue déjà développée chez Maurice Blanchot, L'Espace
littéraire, Paris, Gallimard, 1955, chapitre IV : "L'uvre et l'espace
de la mort". ° Rubrique philo-fac http://www.philagora.net/philo-fac/ |