° Rubrique philo-fac http://www.philagora.net/philo-fac/ Jean-Marie BROHM -- Ontologie de la mort Esquisses épistémologiques pour une thanatologie qui se voudrait scientifique. _________________________________ - Introduction-
p.1 Éthique et ontologie de la mort Chez
Heidegger le Dasein est, on ne le sait que trop, conçu comme être vers la fin, être
vers la mort fondé sur le souci. La fin attend le Dasein, elle le guette comme une
imminence, marche à la mort, angoisse, puis esseulement sur soi-même. La mort est
possibilité la plus propre du Dasein (43). Marchant à la mort
certaine mais indéterminée le Dasein s'ouvre à une menace constante jaillissant de son
là lui-même (44). L'analyse de la mort par Heidegger, pour
contestable qu'elle soit, a au moins le mérite mais il n'est ni le premier ni le
seul d'avoir montré que l'interprétation existentiale de la mort précède toute
biologie et toute ontologie de la vie. Mais elle est également la condition indispensable
de toute recherche sur la mort, que celle-ci soit d'ordre historique et biographique ou
d'ordre psychologique et ethnologique. Une typologie du trépas caractérisant les états
et les manières selon lesquels le décès est vécu présuppose déjà le concept de
mort. De plus, une psychologie du trépas donne plutôt des renseignements sur la vie du
mourant que sur le trépas lui-même. Ce qui reflète simplement que, pour le Dasein, le
trépas ou même le moment précis où il meurt ne s'accompagne d'aucune expérience
vécue du décès factif. [...] En bonne méthode, l'analyse
existentiale précède les questions d'une biologie, d'une psychologie, d'une théodicée
et d'une théologie de la mort (45). => Quelle thanatologie aujourd'hui ? - p.7 Jean-Marie BROHM - Professeur de Sociologie - Université Paul Valéry - Montpellier III - France Notes (43) Martin Heidegger, Être et Temps, Paris, Gallimard, 1986 (dans la traduction hélas amphigourique de François Vezin), p. 318.(44) Ibid., p. 320. On lira avec intérêt, dans une perspective globalement heideggerienne, le bel essai de Françoise Dastur, La Mort. Essai sur la finitude, Paris, Hatier, 1994. (45) Martin Heidegger, Être et Temps, op. cit., pp. 301 et 302. Si Heidegger a été un immense philosophe il a aussi été, il n'est pas inutile de le répéter surtout dans le contexte d'une analyse existentiale de l'être vers la mort, un philosophe nazi qui s'est enthousiasmé pour la révolution nationale du national-socialisme. On ne peut lire ses Écrits politiques (Paris, Gallimard, 1995 et surtout la présentation apologétique de François Fédier qui tente de justifier l'injustifiable en parlant d'une erreur commise par le philosophe de Fribourg alors qu'il s'agit d'engagement conscient pour A l'Allemagne nouvelle) sans un profond haut-le-cur. À cet égard les heideggeriens français patentés qui ont toujours tenté d'exonérer Heidegger de sa responsabilité historique ont été, et sont toujours, dans l'incompréhension du rapport profond entre la politique de Heidegger et sa philosophie. Il suffit de lire Introduction à la métaphysique (1935), (Paris, Gallimard, 1994), pour comprendre à quel point, sur le fond, Heidegger partageait les convictions nazies concernant le peuple allemand, peuple métaphysique le plus en danger (p. 49), pour une prise en charge de la mission historiale de notre peuple en tant qu'il est le milieu de l'Occident (p. 61). Indépendamment de ses attaques contre le communisme russe et le marxisme, Heidegger a parsemé son cours d'allusions très claires à la situation de l'Europe, au destin spirituel de l'Occident et à la décadence spirituelle de la terre. Voici un exemple de l'analyse de l'être d'un étant : Un État il est. En quoi consiste son être ? En ceci que la police d'État arrête un suspect, ou en ce que, à la chancellerie il y a tant et tant de machines à écrire en action, qui prennent ce que leur dictent des secrétaires d'État ? Ou bien est-il dans l'entretien du Führer [sic] avec le ministre anglais des Affaires étrangères? L'État est. Mais où se cache l'être? (p. 46). Et où - ou derrière quoi- se cachent les heideggeriens ? (46) Emmanuel Lévinas, La Mort et le temps, op. cit., p. 122. (47) Platon, Le Banquet. Phèdre (traduction Émile Chambry), Paris, Garnier-Flammarion, 1964, p. 124. Dans le Phédon, on le sait, Platon développe longuement l'idée que l'âme est immortelle et impérissable in Apologie de Socrate, Criton, Phédon (traduction Émile Chambry), Paris, Garnier-Flammarion, 1965, p. 168. (48) Ludwig Feuerbach dans Pensées sur la mort et sur l'immortalité (Paris, Éditions Pocket, 1997) retrace de manière critique les étapes historiques de cette croyance en l'immortalité. (49) Max Scheler, Mort et survie, Paris, Aubier, 1952, p. 34. (50) Ibid., p. 77. (51) Ibid., p. 22. (52) Ibid., pp. 18 et 19. (53) Ibid., p. 16. (54) Il y aurait lieu ici de relire attentivement Arthur Schopenhauer qui, dans une perspective philosophique autre que la phénoménologie, a soutenu l'indestructibilité de notre être véritable à partir d'une métaphysique du vouloir-vivre: De ce que nous sommes maintenant, écrit Arthur Schopenhauer, il résulte, tout bien pesé, que nous devons exister en tout temps. Car nous sommes nous-mêmes l'être que le temps accueille en lui, pour combler son vid : c'est pourquoi cet être occupe la totalité du temps, présent, passé et avenir, de la même manière, et il nous est aussi impossible de choir hors de l'existence que hors de l'espace (Métaphysique de l'amour. Métaphysique de la mort, Paris, UGE, 1964, p. 138). ° Rubrique philo-fac http://www.philagora.net/philo-fac/ |