Du
cercueil de Rousseau au Panthéon, sort une main qui tient un
flambeau. Admirable symbole de la lumière que l'humanité
(et Bergson) doit à ce philosophe.
Mais
pourquoi Rousseau a-t-il été, est-il toujours reconnu comme
philosophe?
Rousseau
est un philosophe car il a désiré, aimé, chéri, poursuivi la vérité,
la beauté et la justice dans un mouvement vers l'absolu, que ces
trois figures manifestent, ce à quoi il ne manque rien.
1755-
Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité
parmi les hommes . Son amour de la vérité lui fait
chercher quelle est l'origine de l'inégalité, le devenir
passé qui a produit les conditions d'une invention, la
genèse. C'est l'invention de la propriété qui marque
l'apparition de l'inégalité: ce que l'homme ajoute à la
nature, des barrières qui empêchent les autres de venir
cultiver le terrain et, pour protéger ces barrières,
l'invention d'un droit, des lois qui
"renforcent" le fort, et affaiblissent les
faibles. Cet amour de la vérité est aussi amour de la
justice.
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"Vous
êtes perdus si vous oubliez que les fruits sont à tous, et que
la terre n'est à personne." (2ème discours, début de
la seconde partie)
1761-
Julie ou la Nouvelle Héloïse . Son amour de la
beauté, ce rythme, cette juste mesure qui fait aimer le
reflet de l'intelligible dans le sensible, l'harmonie de
l'union des contraires, le pousse à écrire cet ouvrage
pour montrer, dans les relations humaines instaurées par
le besoin et le désir, que, là aussi, le sensible n'est
que par l'intelligible qui le sauve, et que l'intelligible
n'existe que par le sensible: Rousseau peut alors chanter
les "transports" de l'intelligible et du
sensible, dans l'ordre retrouvé, les instants de bonheur
et de réconciliation... au point de donner l'heureuse
illusion d'avoir annulé le temps, comme tel paysage qui
présente au regard du promeneur, à la fois, les fleurs
du printemps promesses des fruits de l'été, l'automne et
l'hiver!
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"Au
levant les fleurs du printemps, au midi les fruits de l'automne,
au nord les glaces de l'hiver." (à Julie. 1ère partie,
XXIII)
1762-
Du contrat social. Son amour de la justice le
pousse à réfléchir aux conditions qui rendraient
possible une loi juste car, l'action juste étant l'action
conforme à la loi, il importe que la loi soit légitime,
n'ait pas pour origine la volonté particulière d'un
tyran qui l'utiliserait pour satisfaire ses appétits et réduire
en esclavage ses sujets, mais soit l'expression de la
volonté générale.
Rousseau conçoit avec la Raison (identité, causalité,
non contradiction) une LOI qui serait pour tous (égalité),
par tous (liberté), ce qui assurerait la paix (non
contradiction).
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"L'obéissance
à la loi qu'on s'est prescrite est liberté"
1762-
L'Emile. Rousseau conscient de l'importance de
ses pensées, de leur enjeu, écrit alors L'Emile comme le
sommet de son oeuvre théorique. Il déroule toutes les
conséquences des principes qu'il a élaborés sur l'éducation
de la jeunesse, l'espérance du monde: il s'agit
d'harmoniser (juste mesure) les trois sortes d'éducation
que l'enfant reçoit: -celle de la nature, celle des
choses, celle des hommes, comme si nous avions tous eu
trois sortes de maîtres: il s'agit d'empêcher qu'ils ne
se contrarient et de les faire tendre au même but: bien
vivre.
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"
Chacun de nous est donc formé par trois sortes de maîtres. Le
disciple dans lequel leurs diverses leçons se contrarient est mal
élevé, et ne sera jamais d'accord avec lui-même..."
(L'Emile. livre 1er, début)
1770-
Les Confessions. Son horreur du mensonge et de
l'injustice, une vive conscience de son originalité, le
poussent à écrire cette oeuvre dans laquelle il voudrait
tout dire, être transparent, atteindre à la spontanéité
de la beauté naturelle qu'il chante.
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"Je
dirai hautement: voilà ce que j'ai fait, ce que j'ai pensé, ce
que je fus".
(Confessions 1ère partie, livre premier) (Confessions 1ère
partie, livre premier)
1776-
Rêveries du promeneur solitaire. Enfin Rousseau
passe de l'action à la contemplation et retrouve, après
la chute dans une société dont il a tant souffert, la
paix de la première enfance, ce paradis perdu, ce premier
jardin, au pays qui nous ressemble: dans des rêveries, au
cours de ses promenades, il jouit du sentiment de
l'existence et d'un bonheur "suffisant, parfait et
plein", celui du philosophe, l'être divin qui accède
aux plaisirs purs, libéré de l'espoir qui maudit le présent,
de la crainte qui désespère le présent, et de l'inutile
nostalgie qui infeste le présent.
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............."L'âme
trouve une assiette assez solide pour s'y reposer tout entière et
rassembler là tout son être, sans avoir besoin de rappeler le
passé ni d'enjamber sur l'avenir; où le temps ne soit rien pour
elle, où le présent dure toujours... De quoi jouit-on dans une
pareille situation... de soi-même et de sa propre existence; Tant
que cet état dure, on se suffit à soi-même, comme Dieu."
(Rêverie, 5ème promenade) |