"Enfin, il y a encore, dans l'idée de notre raison pratique, quelque chose qui accompagne la violation d'une loi morale, c'est le démérite.
Or la participation au bonheur ne peut pas du tout se lier avec le concept d'une punition, considérée en tant que punition. En effet, bien que celui qui punit ainsi, puisse avoir en même temps la bonne intention de diriger cette punition sur ce but, la punition, comme telle, c'est-à-dire comme simple mal, doit d'abord être justifiée par
elle-même, de sorte que celui qui est puni, si l'on en restait là et qu'il n'entrevît même aucune faveur se cachant derrière cette rigueur devrait avouer lui-même qu'il n 'a que
ce qu'il mérite et que son sort est tout à fait proportionné à sa conduite. La justice doit donc d'abord se trouver dans toute punition, considérée comme telle, et elle forme ce qui est essentiel dans ce concept. La bonté peut sans doute y être liée, mais celui qui a mérité la punition par sa conduite n'a pas la moindre raison d'y compter. La punition est, par conséquent, un mal physique qui, quand même il ne serait pas attaché
comme conséquence naturelle au mal moral, devrait cependant y être lié comme conséquence, d'après les principes d'une législation morale. Or, si tout crime, sans même en considérer les conséquences physiques par rapport à l'agent, est punissable par lui-même, c'est-à-dire fait perdre
le bonheur (au moins en partie), il serait évidemment absurde de dire que le crime a consisté précisément à s'attirer une punition, en portant préjudice à son propre bonheur (ce qui, d'après le principe de l'amour de soi, devrait être le concept propre de tout crime). La punition serait, de cette façon, la raison d'appeler une chose criminelle et la justice devrait consister plutôt à laisser de côté toute punition et même à prévenir la punition naturelle; car alors il n'y aurait plus rien de mauvais dans l'action, parce que les maux, qui autrement en sont la conséquence et qui seuls font appeler l'action mauvaise, seraient désormais écartés. Mais considérer complètement toute punition et toute récompense comme la
machine, placée dans la main d'une puissance supérieure et devant uniquement servir à faire marcher vers leur but final (le bonheur) des êtres raisonnables, c'est réduire la volonté à un mécanisme qui supprime toute liberté, et cela est trop évident pour qu'il soit nécessaire d'insister sur ce point."
Critique de la raison pratique, PUF, page 38.
=
Problèmes:
Le justiciable peut-il exiger de la bonté? La punition est-elle
utile? Comment la punition peut-elle être une marque de respect envers
le coupable?
=
L'essence de la punition:
Le caractère essentiel de toute punition n'est autre que la justice
comme ajustement d'un mal physique à la conduite du coupable, si bien
que la punition est justifiée en elle-même indépendamment de toute
considération personnelle (le bien, le bonheur, la guérison du
coupable) ou sociale (le maintien de l'ordre, par exemple).
C'est dire que la punition a pour seule raison d'être le fait que le
condamné a violé la loi, qu'il est en ce sens coupable.
D'ailleurs toute autre considération (indulgence ...) ferait de la
punition un simple moyen de "faire marcher" l'homme comme un
mécanisme, de le réduire à une chose: belle justice qui mépriserait
l'homme après lui avoir demandé de se comporter en être raisonnable
et libre!
La punition est un mal physique "lié" à la violation de la
loi: "lié" non comme une conséquence naturelle d'un
déterminisme qui se moque de la moralité de l'action, mais lié
d'après "les principes d'une législation morale". La
conséquence naturelle est de l'ordre de la nécessité alors que la
punition est de l'ordre de la liberté: l'obéissance à la loi qu'on
s'est prescrite est liberté.
Ainsi la punition n'est qu'une figure de la justice puisque, en
punissant le coupable à cause du respect qu'on lui doit, on lui rend
vraiment justice.
=
Intérêt du texte:
Dans sa rigueur, ce texte lève bien des ambiguïtés et évite des
impasses. Il repose sur le postulat de la liberté.
=
Racine?
Dans Le Contrat social au Livre I, chapitre III, Rousseau
distingue le domaine de la nature et celui des valeurs morales: si les
lois morales peuvent être violées il est de l'essence des lois de la
nature de ne pouvoir être violées.
Il y a une différence d'ordre. Au contraire des lois de la nature qui
sont nécessaires, l'obligation morale suppose le devoir comme exigence
de la conscience et aussi le pouvoir de s'y soustraire. (Je donne ma
bourse au brigand parce que je suis contraint: il est évident que je
n'y suis pas moralement obligé.)
Pour Rousseau la politique s'enracine dans le domaine de la
morale.
La punition n'a de sens que si je suis libre d'obéir et de désobéir.
(Sur le plan physique comme sur le plan psychique).
J.
Llapasset
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