Oncle
Vania, un carrefour familial.
Maria est la mère de la première femme du
professeur Sérébriakhov et la mère de Oncle Vania.
Sérébriakhov
a donc épousé la soeur de Vania, en première noces: il a eu
une fille: Sonia (diminutif affectueux de Sophie, la sagesse.)
Vania est donc l'oncle de Sonia.
En deuxième noces, après le décès de sa première femme, Sérébriakhov
le professeur a épousé Elena (17 ans).
Oncle
Vania est donc au carrefour de la famille: fils de
Maria, oncle de Sonia, beau-frère de Sérébriakhov.
L'action se passe dans un domaine.
Au
delà des causes les plus évidentes le travail et les relations
avec des "toqués", Astrov le médecin
(en visite), un peu plus haut, nous a donné à penser la cause
profonde de son changement, celle qui n'apparaissait pas immédiatement:
quelque chose s'est cassé en lui dans une expérience: en
voulant donner la vie, il a donné la mort, "comme si c'était
moi qui avait voulu le tuer", précise-t-il dans un éclair
de lucidité. Cette expérience rejaillit sur toute forme
d'action, ce qu'il faisait, ce qu'il fait, et projette une vague
d'ironie sur toute sa vie. Cette expérience a pour
caractéristique essentielle de révéler l'inanité de la
recherche du bonheur dans l'accomplissement du devoir:
faire son devoir ne peut être une fin en soi si on peut faire
le mal en croyant faire le bien, si l'intention la plus pure
peut toujours se doubler d'une motivation inconsciente
("comme si j'avais voulu le tuer"...)
Dans
le discours de Oncle Vania, dans ce qu'il dit de lui nous avons
la même structure: avant, maintenant et, au milieu un déclic:
lui aussi a connu des expériences qui ont fait tout basculer et
qui permettent de comprendre qu'il ait pu devenir autre.
Tout comme Astrov, Vania a changé, mais en
fonction de plusieurs expériences qui ont
fait, pour ainsi dire, boule de neige: la mort de sa soeur après
une longue maladie, l'apparition d'Elena, devenue objet de
passion et avec elle, les affres de l'amour non partagé, la
"perte" de sa propre mère du fait de l'influence
exercée par Sérébriakhov. Son admiration pour le professeur,
sa vénération a laissé place à la haine (= vouloir sa
disparition en le tuant) et à la rivalité amoureuse. Cela l'éloigne
du respect de la loi morale et l'amène à rechercher le
bonheur dans la transgression en prenant la femme de
celui qu'il a certainement considéré comme un père (Oedipe)
et pour qui il a tant travaillé au point de lui envoyer régulièrement
le fruit de son travail pour lui doubler son salaire.
En fait, il se pourrait bien que Oncle Vania n'ait fait que
changer de chaînes.
Vania
sort de la maison et entre en scène dans le jardin, balance du
sommeil à la veille, du lit au banc, de l'avant au maintenant,
se montre capable de renier le passé et de devenir autre; lui
qui vénérait Sérébriakhov bascule dans la haine: lui
le fidèle, le studieux est devenu inactif, l'infidèle qui prêche
l'infidélité à la jolie Elena comme si le devoir d'être
heureux, la recherche du bonheur passait avant la vertu.
Si
oncle Vania donne son nom à la pièce de Tchekhov, ce n'est pas
parce qu'il en est le héros principal, pour la bonne raison
que, à part Sonia, aucun personnage n'émerge de la médiocrité,
de la monotonie, dans laquelle le temps finit par tout égaliser.
Les autres personnages, Marina, Tiéliéguine, un propriétaire
ruiné, Maria, le veilleur de nuit restent en marge et pour
ainsi dire comptent les points, à la manière d'un coeur
antique: lisez la fin du dernier acte (page 100). Tiéliéguine
joue, Maria écrit dans les marges, Marina tricote son bas, le
veilleur de nuit tambourine sur sa planchette... |