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Quatre
personnages vont se liguer pour que le professeur aille se
reposer. Pour que cet oiseau de malheur, croient-ils, débarrasse
le plancher. Mais là encore Tchékhov joue le jeu de la démonstration:
le maître n'est pas la cause du malheur, puisque ,après son départ,
les déchirements, les tensions non seulement demeurent, mais
vont s'exacerber.
Trois femmes collaborent et l'arrivée de Vania va précipiter
le départ du professeur.
- Elena,
l'épouse, la belle Hélène sur qui les hommes fixent leur
regard et à cause de qui, ils vont se déchirer, reprenant en
quelque sorte la guerre de Troie. Elena que Vania regrette de ne
pas avoir demandé en mariage, il y a une dizaine d'années,
quand c'était possible. Là encore on découvre que la
recherche du bonheur est vaine puisqu'on ne voit pas où est le
bonheur au moment où il passe. Voir le bonheur rétrospectivement,
comme une possibilité manquée, c'est respirer le malheur.
- Sonia,
dont le professeur est le père biologique: elle est déchirée
parce que Vania est son père spirituel (Oncle Vania signifie en
Russe: petit pas Vania)
- Enfin
Marina, la nourrice, l'autre mère qui console l'enfant Sérébriakhov
et qui le convainc d'aller au lit, au grand soulagement de tous
ceux que le professeur tient éveillés et qu'il tyrannise.
Le
spectateur se trouve devant des personnages qui ne sont que des
esquisses: .au spectateur de faire la moitié du chemin. Là,
plus que jamais, Tchékhov compte sur les spectateurs: il nous
demande d'aimer ses personnages et de leur donner une épaisseur
psychologique qui ne saurait apparaître à la conscience
claire.
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Ce qui
apparaît à la conscience claire, systématique, c'est
effectivement un système, un groupe social qui joue une sorte
de jeu dans lequel, pour peu que la chance ait été saisie,
chaque personnage aurait pu être un ou plusieurs des autres
personnages: chacun souffre de voir l'image de ce qu'il n'a pas
réalisé. Évidemment Sérébriakhov est celui qui fait le plus
souffrir. Il semble que chaque personnage ne prenne son sens que
de la somme des différences d'avec les autres personnages.
=
Sérébriakhov,
sans la chance, aurait pu ne pas avoir son concours et se
retrouver à travailler au domaine. Aurait-il pu espérer avoir
le beau parti que représente Elena? Il n'apparaît que par différence:
vieillesse, professeur à la retraite, époux d'une beauté, père
de Sonia ... Il a pu, dans le temps, jouer le rôle d'un père
pour Vania qui le vénérait...
Vania est celui qui rate son coup et accumule les échecs, mais
il aurait pu réussir et demander la main de Elena quand c'était
possible. Longtemps il a admiré le professeur et , par son
travail, il a largement contribué à la réussite de Sérébriakhov.
Il a joué le rôle de père spirituel pour Sonia. Il s'imagine
dans le rôle d'un grand écrivain. Comme Astrov, il s'est laissé
engluer par la routine et par l'alcool ...
Autant
dire que comme rival, il s'oppose désormais à son beau frère
/ père symbolique. En cela il reste semblable à cet enfant
tyrannique qu'est devenu le professeur. En fait il ne vit pas sa
vie mais il la joue sur le mode du coup de théâtre qui finit
par faire sourire l'entourage: on oublie vite qu'il a tiré deux
coups de pistolet sur le professeur comme on pardonne à un
enfant une bêtise faite sur un coup de tête.
La comédie
n'est jamais bien loin et auréole le tragique. La mythologie
est évoquée mais la dérision lui coupe les ailes. En cela
Vania mérite bien d'être le personnage éponyme de la pièce,
il en est le chef d'orchestre mais un chef d'orchestre qui ne
connaît rien à la mesure et qui ignore les conséquences de ce
qu'il fait. Il rythme la tragédie par la répétition
comique des échecs retentissants et interdit toute interprétation
qui permettrait un seul instant de croire à l'héroïsme.
Il s'agit bien de montrer, là encore, que la recherche du
bonheur est une entreprise vaine, pour ainsi dire barrée
d'avance.
Elena
joue le rôle de la vertueuse, elle aimerait être belle et
vertueuse à la fois. Mais en réalité sa beauté est vénéneuse
et sa vertu est de façade car elle ne sait pas dire non. Et
quand elle dit non, il faut comprendre oui! De plus, on peut se
demander si sa moralité n'est pas celle des faibles qui ont
peur. Elle aimerait bien avoir la sagesse de Sonia. Certes il
lui arrive de se hisser au rang de Sonia dans un échange qui
l'honore. Elle cherche même à rendre service: le seul échange
amical de la pièce e lieu entre ces deux femmes. Mais Elena
est-elle sincère, elle qui a deviné et peut-être apprécié
l'intérêt que lui porte Astrov? N'y a-t-il pas une joie de
parler d'Astrov.
Sonia est
la vertu, cette belle âme dont chacun des personnages aimerait
jouer le rôle: Sonia agit, aime, pratique le don de soi,
console alors même qu'elle est mal aimée! Loin de se contenter
de paroles, elle pratique cette harmonie qui est union des
contraires et qui manque tellement dans le groupe social. C'est
elle qui dit les vérités,qui fait taire Vania, qui reproche à
Astrov la mauvaise influence exercée sur Vania. Sa sincérité,
sa fidélité font d'elle le personnage le plus aimable et le
plus dense de la pièce, celle qui mériterait d'être aimée
mais qui ne sera jamais désirée parce qu'elle ne sait que
donner: elle ne sait pas promettre, elle ne sait pas pratiquer
la fuite au moment même où elle est prête à se donner. Au
demeurant tous l'aiment parce qu'elle n'a pas le temps de penser
à elle même et que, en conséquence ,ils ne risquent rien dans
ce lieu où tous risquent sans cesse l'explosion de cette
situation que l'acte II déplie. |