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Sérébriakhov.
"Oeuvrer sa vie durant ... se retrouver dans ce caveau,
voir chaque jour les mêmes figures bêtes... Je veux vivre ...
Regretter le passé ..."
Un auteur
comme Tchékhov qui a passé sa vie à lutter contre la maladie,
la misère, les ravages du temps, ne pouvait que s'investir
totalement dans ses pièces: une thèse les traverse donc, même
si l'auteur se contente de suggérer, de faire signe, de faire
voir pour ainsi dire sa thèse principale: cette thèse est une
protestation maîtrisée contre le malheur: il s'agit de montrer
et parfois de démontrer que la recherche du bonheur est vaine
quelles que soient les faveurs de la chance, de la bonne heure.
On remarque que les malheureux attribuent leur malheur au manque
de chance. Pour démontrer la fausseté de cette mise en cause,
Tchékhov nous présente un professeur qui a eu, pour ainsi dire
toutes les chances. C'est une sorte de démonstration par
l'absurde: supposons que les "bonnes heures", les
faveurs de la fortune soient multipliées, que la chance
favorise un personnage, cet homme n'en sera pas moins
malheureux, si tant est que les interventions de la chance
l'aient une seule fois rendu heureux.
Thèse:
la recherche du bonheur est vaine quelle que soit l'intervention
de la bonne fortune, de la chance.
Sérébriakhov est en effet le chouchou de la chance: sur le
plan intellectuel, il réussit un concours bien qu'il ne fasse
que répéter, sur le plan matériel, il reçoit en héritage la
propriété de sa première épouse, dans cette propriété
Oncle Vania et Sonia s'échinent à le servir et à travailler
pour lui jusqu'à lire des articles à sa place; enfin sur le
plan affectif sa deuxième épouse est magnifique.
Et Tchékhov
de nous signifier: même si la chance intervient, on n'est pas
moins malheureux:
- Si on a
besoin de la chance, cela souligne notre impuissance à nous
rendre heureux par nous même.
- La bonne heure arrive-t-elle? C'est pour mieux souligner
l'insuffisance de ce professeur qui a toutes les peines du monde
à tenir son rang et doit faire travailler Vania et Sonia pour
recopier ce qu'il débitera en public, le plus souvent sans le
comprendre. De plus ses réceptions sont soutenues par le
travail de Vania qui lui envoie régulièrement une pension.
- Ensuite que fera-t-il de cette propriété qui lui arrive en héritage
comme un cheveu sur la soupe au point qu'il décide de la vendre
sans se rendre compte du sort qu'il impose à ceux qui en
vivent.
- S'y retirera-t-il pour y mourir d'ennui? Cette femme que tout
le monde lui envie, le plonge dans la jalousie: comme
n'aurait-il pas peur d'être trompé puisque sa beauté souligne
la vieillesse: quand le couple s'avance, un contraire éclaire
l'autre impitoyablement.
- Enfin, et ce n'est pas un des moindres paradoxes d'une vie, le
souvenir de sa vie active et mondaine rend encore plus
douloureuse cette pétrification qui le fige, lui le nomade: il
est fixé sur place avec un entourage qu'il méprise et qui le
lui rend bien. En fait il regrette de ne pas être pris pour un
dieu.
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Avouons que
la rigueur du raisonnement signifié par Tchékhov nous laisse
bien près d'admettre que l'idée de bonheur n'est qu'un
malentendu et que le chemin du bonheur se révèle être le
chemin du malheur, parce que le bonheur n'est pas dans la
possession d'un concours, d'une femme, d'une propriété, mais
dans la liberté du créateur.
Dans cette pièce personne n'est arrivé à ce dont il rêvait
et personne n'a suivi l'infini que chaque homme porte en soi.
Encore ne fallait-il pas confondre l'avoir et l'être ! |