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PHILOSOPHIE - CLASSES PREPAS par J. Llapasset

La recherche du bonheur

Tchekhov 

Oncle Vania

Acte I. (page 29). La philosophie de Elena  

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Ah!  La  paresse et l'ennui. Le texte associe fortement l'ennui à la paresse au point que l'un est déductible de l'autre. La paresse ne serait-elle qu'une conséquence de l'ennui et vice versa?  

Je la comprends. Les insultes contre son mari, le sentiment de compassion envers elle, ont un sens: son mari est insulté parce qu'on lui en veut d'avoir une femme jeune, belle, fidèle; d'une certaine manière on lui fait la guerre, on souhaite le détruire. Quant à la compassion dont elle est l'objet, qu'elle voit dans le regard de ceux qu'elle rencontre, c'est encore une façon subtile de la détruire, de lui refuser toute personnalité, toute liberté et dignité, en la réduisant au rang d'esclave, un avoir offert à qui a su la prendre et à qui saura la posséder. Aux yeux de Elena, son mari et elle même ne sont que des victimes de la rage destructrice qui anime les hommes et, particulièrement, les hommes de son entourage qui lui reprochent d'être belle et vertueuse.

Sans réfléchir. Elle en appelle à la philosophie, au retour sur ce qui est immédiatement vécu pour le mettre en question.

Vous détruisez l'homme. Non seulement les hommes, traversés par l'esprit de destruction, détruisent la nature mais ils détruisent l'homme, ce qu'il y a de spécifiquement humain dans les hommes. Pour ne pas avoir réfléchi, il n'ont pas découvert qu'ils détruisent l'humanité: pour Elena, ce qui fait l'homme c'est la triade de la fidélité, de la pureté, de l'aptitude au sacrifice, ce qui fait de lui, pour peu qu'il le réalise, un ange.

Pourquoi?. Elle pourrait s'exercer à la maïeutique par la question qu'elle pose. Mais elle donne tout de suite la réponse: elle découvre une caractéristique essentielle de ceux qui se laissent aller; ils redeviennent des prédateurs qui obéissant au désir, cherchent à posséder une personne comme si elle était une chose et donc détruisent sa liberté, ce qui fait l'homme. Il ne peut y avoir de bonheur pour un prédateur ni pour ceux qu'il rencontre.

Il faut distinguer la compassion intéressée dont Elena est l'objet et la pitié véritable qui laisse toujours exister son semblable, sympathise avec ses souffrances et se réjouit de sa liberté préservée.
Le monde humain devient vite un enfer, Chacun dévorant et accumulant des conquêtes jusqu'à ce qu'il soit dévoré. Rien n'échappe au démon de la destruction lorsque l'homme l'écoute.

Vania, dont la lucidité est grande, n'aime pas cette philosophie car, en le prenant pour objet de réflexion,en le découvrant, elle le met radicalement en question dans son comportement, lui qui souhaite avoir Elena et donc veut l'infidélité d'Elena.

Avec Vania qui "torture" Elena, Astrov qui la considère comme un objet de plaisir et ira jusqu'à exercer un chantage pour la faire chuter, Sérébriakhov qui la commande à tout bout de champ comme sa chose, les hommes de la pièce nient Elena dans ce qu'elle est parce qu'ils la remplacent et la détruisent par leur fantasme.
Elena n'est ni aussi belle, ni aussi dangereuse qu'ils croient; ce sont eux qui, jusque dans leurs regards, portent le danger et la démesure dans tout ce qu'ils entreprennent et qu'ils sont incapables de mener à bout: dérisoirement, ils s'imaginent effectuer la recherche du bonheur comme si le bonheur était dans l'avoir.
"
Permettez moi de vous parler de mon amour, ne me chassez pas, cela seul, ce sera pour moi le plus grand des bonheurs" supplie Vania, en  poursuivant celle qu'il croit aimer. (fin de l'acte I)