Ah!
La paresse et l'ennui.
Le
texte associe fortement l'ennui à la paresse au point que l'un
est déductible de l'autre. La paresse ne serait-elle qu'une
conséquence de l'ennui et vice versa?
Je
la comprends. Les
insultes contre son mari, le sentiment de compassion envers
elle, ont un sens: son mari est insulté parce qu'on lui en veut
d'avoir une femme jeune, belle, fidèle; d'une certaine manière
on lui fait la guerre, on souhaite le détruire. Quant à la
compassion dont elle est l'objet, qu'elle voit dans le regard de
ceux qu'elle rencontre, c'est encore une façon subtile de la détruire,
de lui refuser toute personnalité, toute liberté et dignité,
en la réduisant au rang d'esclave, un avoir
offert à qui a su la prendre et à qui saura la posséder. Aux
yeux de Elena, son mari et elle même ne sont que des victimes
de la rage destructrice qui anime les hommes et, particulièrement,
les hommes de son entourage qui lui reprochent d'être belle et
vertueuse.
Sans
réfléchir. Elle
en appelle à la philosophie, au retour sur ce qui est immédiatement
vécu pour le mettre en question.
Vous
détruisez l'homme. Non
seulement les hommes, traversés par l'esprit de destruction, détruisent
la nature mais ils détruisent l'homme, ce qu'il y a de spécifiquement
humain dans les hommes. Pour ne pas avoir réfléchi, il n'ont
pas découvert qu'ils détruisent l'humanité: pour Elena, ce
qui fait l'homme c'est la triade de la fidélité, de la pureté,
de l'aptitude au sacrifice, ce qui fait de lui, pour peu qu'il
le réalise, un ange.
Pourquoi?.
Elle
pourrait s'exercer à la maïeutique par la question qu'elle
pose. Mais elle donne tout de suite la réponse: elle découvre
une caractéristique essentielle de ceux qui se laissent aller;
ils redeviennent des prédateurs qui obéissant au désir,
cherchent à posséder une personne comme si elle était une
chose et donc détruisent sa liberté, ce qui fait l'homme. Il
ne peut y avoir de bonheur pour un prédateur ni pour ceux qu'il
rencontre.
Il
faut distinguer la compassion intéressée dont Elena est
l'objet et la pitié véritable qui laisse toujours exister son
semblable, sympathise avec ses souffrances et se réjouit de sa
liberté préservée.
Le monde humain devient vite un enfer, Chacun dévorant et
accumulant des conquêtes jusqu'à ce qu'il soit dévoré. Rien
n'échappe au démon de la destruction lorsque l'homme l'écoute.
Vania,
dont la lucidité est grande, n'aime pas cette philosophie car,
en le prenant pour objet de réflexion,en le découvrant, elle
le met radicalement en question dans son comportement, lui qui
souhaite avoir Elena et donc veut l'infidélité d'Elena.
Avec
Vania qui "torture" Elena, Astrov qui la considère
comme un objet de plaisir et ira jusqu'à exercer un chantage
pour la faire chuter, Sérébriakhov qui la commande à tout
bout de champ comme sa chose, les hommes de la pièce nient
Elena dans ce qu'elle est parce qu'ils la remplacent et la détruisent
par leur fantasme.
Elena n'est ni aussi belle, ni aussi dangereuse qu'ils croient;
ce sont eux qui, jusque dans leurs regards, portent le danger et
la démesure dans tout ce qu'ils entreprennent et qu'ils sont
incapables de mener à bout: dérisoirement, ils s'imaginent
effectuer la recherche du bonheur comme si le bonheur était
dans l'avoir.
"Permettez
moi de vous parler de mon amour, ne me chassez pas, cela seul,
ce sera pour moi le plus grand des bonheurs"
supplie Vania, en poursuivant celle qu'il croit aimer.
(fin de l'acte I) |