Classiquement,
le début de l'acte I, s'occupe de l'exposition: pour informer
le spectateur on "dispose" des éléments de manière
à mettre en vue les thèmes, à créer une ambiance, à intéresser.
Il s'agit que le théâtre reste rempli jusqu'au bout. L'étude
peut donc se faire avec pour méthode de dégager les intérêts
littéraires, psychologiques ou philosophiques, dramatiques (drama
= action). Nous venons donc de déduire une méthode, un chemin
grâce auquel et avec lequel la lecture studieuse peut
commencer.
Par
exemple, un intérêt psychologique: quel est le monde
des personnages, comment ils le voient, que ressentent-ils,
quelle est la qualité de leurs relations aux autres, au temps
et à l'espace?
- Ce n'est pas par hasard que Marina, une vieille lourde et
apathique, assise, tricote un "bas". Il ne s'agit pas
de la belle Hélène qui, ouverte à l'avenir, fait et défait
son ouvrage en attendant celui qu'elle aime; c'est l'antithèse
de la belle Hélène! Marina, en effet, en répétant un geste
machinal comme le ferait une figure du destin,
représente effectivement la permanence du cadre naturel, de
l'ordre implacable qui revient toujours au même point. C'est le
métronome qui par le retour du même rythme, permet de prévoir
en annulant l'avenir radieux et l'espoir. Ceux qui nous ont
nourris ne nous répètent-ils pas jusqu'à nous exaspérer: Je
l'avais bien dit ... Marina est donc un point de repères
pour les autres personnages; ce n'est en aucun cas un tremplin
pour la création de soi par soi: Boire, manger, boire le thé,
manger le pain.....
Elle remplit un verre de thé (boire), en
prenant l'eau chaude d'un samovar: extraordinaire petite chaudière
portative dont les braise chauffent de l'eau, par exemple,
ici, régulièrement pour le thé, dont la consommation rythme
la journée et semble remplir par moment le vide du temps.
Tiens ça signifie: prends ça, aussi bien que
avale ça.
Mon bon monsieur. Il est permis de préférer
la traduction plus fidèle à l'âme russe: mon
petit père.
Astrov
est présenté comme sans enthousiasme, sans cette
impression d'être enflammé par la divinité. L'enthousiasme,
il l'éprouve à la vue de l'alcool mais cela se heurte au souci
de sa dignité. De thé plus ou moins tiède, il n'en a pas trop
envie et il le dit.
Un
petit verre de vodka, peut-être?
Avec Tchekhov, l'ironie est partout et surtout dans les
questions dont on croit connaître la réponse: l'ironie feint
l'ignorance. Tout est fait d'ailleurs pour faciliter la réponse
attendue: oui. "petit" = c'est rien,
ce n'est pas grand chose et le "peut-être" semble
marquer l'ignorance feinte.
Non, répond Astrov qui ne ment pas,
effectivement les lignes suivantes nous l'apprendront, il ne
boit pas tous les jours. En fait, il boit toutes les nuits. Ici
l'ironie n'est perceptible que pour Tchékhov et pour les
acteurs. La raison qu'il donne c'est que l'alcool échauffe et
qu'il fait une chaleur étouffante. On sent bien que, Astrov a
le sens de sa dignité, des velléités de manifester une liberté,
une absence d'accoutumance.
Pause:
très important. La pause ou les points de suspension,
Tchékhov les utilise pour inviter le spectateur ou le lecteur
à faire la moitié du chemin, à nourrir le texte. Tchékhov ne
démontre pas une thèse, il ne cesse de suggérer. Profitons
de cette pause pour questionner le texte.
Quelques
exemples de questions que peut se poser le spectateur:
Qu'est-ce qui pousse Astrov à rester près de cette vieille
poussive? Tout semble les séparer, pourquoi n'est-il pas à se
promener dans le parc? Qu'est-ce qui peut le rapprocher de cette
vieille nourrice?
Astrov, qu'est-ce qu'il aime, à part la vodka et, de manière
incompréhensive , cette vieille?
Nous apercevons une balançoire à côté des chaises et des
bancs pour gens fatigués de vivre: la balançoire n'est-elle
pas la figure du métronome? Ne rappelle-t-elle pas aussi le
paradis de l'enfance perdue?
Pourquoi cette sensation d'étouffement? Est-on écrasé de
chaleur ou écrasé parce que dès le début il ne se passe rien
(Astrov, ne boit même pas). Le temps reste et, en lui, selon
son rythme, le changement des êtres s'accomplit inexorablement.
Mais,
où est donc la vraie vie? Ailleurs que dans ce
monde où le temps destructeur règne en
narguant tout effort de création et en flétrissant la beauté
des corps.
- Et j'ai beaucoup changé depuis ?
Compréhension
=> Un test et une auto correction :
Questions.
-
Quel est l'agent principal mis en scène, dès les premières
lignes?
Montrer que l'agent principal nous est donné à voir par des
figures.
- La balançoire peut-elle êtes une figure de la recherche du
bonheur?
- Quelle forme précise d'ironie Tchékhov emploie-t-il?
- Toute observation, toute lecture, est construite par la
culture de l'observateur ou du lecteur: en quoi la connaissance
de l'histoire de la philosophie est-elle nécessaire?
Pour
une auto - correction.
-
C'est le temps destructeur, le grand maître qui fait apparaître
et disparaître, qui soumet tout à son action, qui flétrit la
beauté, qui étouffe l'enthousiasme, qui obscurcit l'horizon de
l'existence, qui gagne toujours malgré les soubresauts des
personnages: source de lassitude.
Vieux peupliers => des bancs et des chaises pour se reposer
=> la balançoire pour rappeler la fuite du temps => une
petite vieille => tous les jours = chaque jour => Astrov
va et vient comme le balancier qui rythme un temps vide si on ne
le remplit pas par la création de soi par soi ...
- La recherche du bonheur éprouvée par l'enfant dans la
jouissance du présent (Cf. Montaigne: "quand je dans je
danse, quand je dors je dors):
grâce au va et vient, il ne quitte pas l'instant mais revient
sur ses pas comme le héros de Le Clézio. Ce peut être aussi
le reflet du temps, de l'ennui ,qui étreint Astrov car lui
aussi va et vient.
- L'ironie qui consiste à feindre l'ignorance. Par exemple:
"Alors tu as encore oublié ton devoir à la maison?"
- Tchékhov use ici très consciemment de l'ironie
socratique,comme, un peu plus loin: "J'ai beaucoup
changé depuis?" Astrov sait très bien que la réponse
sera oui. |