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PHILOSOPHIE - CLASSES PREPAS par J. Llapasset

La recherche du bonheur

Tchekhov 

Oncle Vania

Acte IV "...les souffrances se noyer dans la charité..." (pages 98 à 100) 

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= Il est bien vrai que l'on peut se demander qui recherche le bonheur dans Oncle Vania: il semble tout au plus qu'on attende que l'humanité soit plus heureuse, à plus ou moins long terme: deux cent ans, pour Astrov!; comme si pour des êtres raisonnables sensiblement affectés le bonheur était toujours déjà compromis par lune  dualité, nature / liberté, que rien ne saurait ici bas harmoniser. D'une part bonheur et devoir paraissent incompatibles, c'est l'un ou l'autre, d'autre part seule la voie du devoir peut permettre à celui qui la suit de mériter le bonheur.
S'il est impossible de concilier la voie du devoir et celle de la nature, c'est que le devoir exige que l'on renonce au bonheur de s'occuper de soi, de ne s'occuper que de cela. Toute la pièce, cela nous apparaît maintenant, est articulée selon l'antinomie entre la splendide beauté et la boueuse vulgarité. Chacun de ces contraires, monstrueusement unis dans le même être, fait ressortir l'autre dans une lumière, une lucidité qui habite les personnages.

- La condition de l'homme est alors celle du pêcheur, d'un être faillé. Voilà pourquoi on peut considérer que c'est Marina, la dérisoire prêtresse du destin, qui lance le thème final et la scène finale par l'affirmation: "Oh pêcheurs que nous sommes...". Il n'est pas indifférent qu'elle dise cela en baillant de fatigue,mais aussi devant la banalité du thème qu'elle introduit .

- Elle ouvre ainsi la porte d'une morale enracinée dans une religion dans laquelle la passion, la souffrance prend son sens: . l'expiation et la malédiction, conséquence d'un pêché originel.

Tout cela sonne comme un rappel à l'ordre, un rappel au travail, au devoir comme accomplissement appliqué des humbles tâches quotidiennes dans l'acceptation de la souffrance et la patience. Tu travailleras, selon l'antique malédiction qui retentit sur tous les humains.

  Le devoir oriente non seulement vers la paix mais aussi vers le rachat et donc la mise en évidence de mérites susceptibles d'obtenir cette récompense que seul un Dieu peut réaliser car lui seul peut concilier la nature et la liberté et donc, du même coup octroyer le bonheur, la béatitude. Le travail n'exige-t-il pas que la nature plie devant le devoir? C'est donc de la foi qu'on attend ici le bonheur et un bonheur dans le calme, la réconciliation après la guerre entre la raison et les passions. Après l'orage un peu de fraîcheur, après le travail de toute une vie, un éternel repos, une paix qui n'est pas celle des cimetières car une forme de vie nouvelle succèdera à la vie.

  Téléguine qui représente ici plus l'harmonie des mondes que l'inflexible destin joue en sourdine et en contrepoint, célèbre l'harmonie des contraires et accompagne, avec respect et affection, le cheminement spirituel de Sonia.
Ce "nous nous reposerons", pour le comprendre, n'écoutons pas ceux qui en l'identifiant à la mort lui enlève toute signification. Nous nous reposerons signifie en effet nous jouirons du repos,( et, quand on jouit, on n'est pas mort), d'un repos bien mérité. D'ailleurs la suite du texte brosse un tableau d'apocalypse animé par le chant des anges, avec pour les yeux émerveillés le spectacle de la transmutation du malheur de la boue en ce qui ne ternit pas, le bonheur éternel: le monde sera envahi par l'amour, délivré de toute pesanteur et plein de la grâce d'une caresse: il reste pour Sonia et ceux qui partagent sa foi à attendre, comme les premiers chrétiens.
Ainsi, les souffrances patiemment supportées seront alors justifiées par le feu de la charité. Entraînée par cette charité, dans un mouvement qui exprime son âme, Sonia serre Vania dans ses bras.