=
Il est bien
vrai que l'on peut se demander qui recherche le bonheur dans
Oncle Vania: il semble tout au plus qu'on attende que l'humanité
soit plus heureuse, à plus ou moins long terme: deux cent ans,
pour Astrov!; comme si pour des êtres raisonnables sensiblement
affectés le bonheur était toujours déjà compromis par lune
dualité, nature / liberté, que rien ne saurait ici bas
harmoniser. D'une part bonheur et devoir paraissent
incompatibles, c'est l'un ou l'autre, d'autre part seule la voie
du devoir peut permettre à celui qui la suit de mériter le
bonheur.
S'il est impossible de concilier la voie du devoir et celle de
la nature, c'est que le devoir exige que l'on renonce au bonheur
de s'occuper de soi, de ne s'occuper que de cela. Toute la pièce,
cela nous apparaît maintenant, est articulée selon l'antinomie
entre la splendide beauté et la boueuse vulgarité. Chacun de
ces contraires, monstrueusement unis dans le même être, fait
ressortir l'autre dans une lumière, une lucidité qui habite
les personnages.
- La
condition de l'homme est alors celle du pêcheur, d'un être
faillé. Voilà pourquoi on peut considérer que c'est Marina,
la dérisoire prêtresse du destin, qui lance le thème final et
la scène finale par l'affirmation: "Oh pêcheurs que
nous sommes...". Il n'est pas indifférent qu'elle
dise cela en baillant de fatigue,mais aussi devant la banalité
du thème qu'elle introduit .
- Elle
ouvre ainsi la porte d'une morale enracinée dans une religion
dans laquelle la passion, la souffrance prend son sens: .
l'expiation et la malédiction, conséquence d'un pêché
originel.
Tout cela
sonne comme un rappel à l'ordre, un rappel au travail, au
devoir comme accomplissement appliqué des humbles tâches
quotidiennes dans l'acceptation de la souffrance et la patience.
Tu travailleras, selon l'antique malédiction qui retentit sur
tous les humains.
Le devoir
oriente non seulement vers la paix mais aussi vers le rachat et
donc la mise en évidence de mérites susceptibles d'obtenir
cette récompense que seul un Dieu peut réaliser car lui seul
peut concilier la nature et la liberté et donc, du même coup
octroyer le bonheur, la béatitude. Le travail n'exige-t-il pas
que la nature plie devant le devoir? C'est donc de la foi qu'on
attend ici le bonheur et un bonheur dans le calme, la réconciliation
après la guerre entre la raison et les passions. Après l'orage
un peu de fraîcheur, après le travail de toute une vie, un éternel
repos, une paix qui n'est pas celle des cimetières car une
forme de vie nouvelle succèdera à la vie.
Téléguine
qui représente ici plus l'harmonie des mondes que l'inflexible
destin joue en sourdine et en contrepoint, célèbre l'harmonie
des contraires et accompagne, avec respect et affection, le
cheminement spirituel de Sonia.
Ce "nous nous reposerons", pour le
comprendre, n'écoutons pas ceux qui en l'identifiant à la mort
lui enlève toute signification. Nous nous reposerons signifie
en effet nous jouirons du repos,( et, quand on jouit, on n'est
pas mort), d'un repos bien mérité. D'ailleurs la suite du
texte brosse un tableau d'apocalypse animé par le chant des
anges, avec pour les yeux émerveillés le spectacle de la
transmutation du malheur de la boue en ce qui ne ternit pas, le
bonheur éternel: le monde sera envahi par l'amour, délivré de
toute pesanteur et plein de la grâce d'une caresse: il reste
pour Sonia et ceux qui partagent sa foi à attendre, comme les
premiers chrétiens.
Ainsi, les souffrances patiemment supportées seront alors
justifiées par le feu de la charité. Entraînée par cette
charité, dans un mouvement qui exprime son âme, Sonia serre
Vania dans ses bras. |