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PHILOSOPHIE - CLASSES PREPAS par J. Llapasset

La recherche du bonheur

  • Sénèque : (4 av. J-C à 65 après J-C)
     

    Sénèque: sur La brièveté de la vie - sur La vie heureuse
     
    Sénèque:
    De brevitate vitae - De vita beata

Chapitre XV, pages 132 à 134 Edition Arléa

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Le hasard, le destin, nous a faits venir aux rivages de lumière en tel lieu, dans telle famille. Certains s'en plaignent: ils n'ont pas choisi leurs parents. Effectivement la famille biologique nous a été imposée. Il ne tient qu'à nous de nous libérer de cela: choisissons nos parents, parmi ceux que nous admirerons: par ce choix et un loisir studieux il nous sera permis de naître au rivage de la vérité et de la justice, de la plus haute noblesse, celle de l'Esprit, en fréquentant ces familles philosophiques, en choisissant parmi elles ces parents que nous aurions aimés avoir. Platon, Aristote, Épicure ... peuvent ainsi devenir nos parents.
Comme notre père biologique, ils nous donneront leur noms, par exemple, nous pourrons nous appeler stoïciens ... De grands biens nous aurons en héritage; loin d'être semblables à l'avoir qui empoisonne la vie des héritiers car ils doivent le partager, ces biens s'accroissent de l'échange et du partage et du nombre de ceux qui les partagent avec toi.

Traduction de José Kany-Turpin dans l'édition GF. Flammarion n°12/44 (ce texte (Traduction François Rousseau) se trouve dans l'édition Arléa, celle qui a été choisie par les auteurs du programme officiel, page 132 à 134. 

XV. 1. Aucun d'eux ne te forcera, tous t'apprendront à mourir. Aucun d'eux ne te fait perdre tes années, chacun te donne les siennes. Avec eux, jamais de conversation dangereuse, d'amitié funeste, de déférence trop cher payée. Tu retireras d'eux tout ce que tu voudras : il ne tiendra qu'à toi de puiser largement, autant que tu pourras. 2. Quelle félicité, quelle belle vieillesse attendent celui qui s'est mis sous leur patronage ! Il aura des amis avec qui délibérer sur les plus grandes comme sur les plus petites choses, qu'il pourra consulter tous les jours sur lui-même, de qui il entendra la vérité sans outrage et la louange sans flatterie, à la ressemblance desquels il pourra se façonner. 3. Nous avons coutume de dire qu'il ne fut pas en notre pouvoir de choisir nos parents, le hasard nous les avant donnés ; mais il nous est permis de naître à notre gré. Il y a des familles de nobles génies choisis celle où tu veux être admis. Par adoption, tu ne recevras pas seulement leur nom, mais leurs biens eux-mêmes que tu n'auras pas à défendre en avare, de manière abjecte : ils s'accroîtront d'autant plus que tu les partageras avec plus de personnes. 4. Ces génies t'ouvriront le chemin de l'éternité. Ils t'élèveront à une place d'où personne n'est précipité : voilà le seul moyen de prolonger la condition mortelle, bien plus, de la convertir en immortalité. Les honneurs, les monuments, tout ce que l'ambition a commandé par ses décrets ou construit par ses efforts, s'écroule bien vite. Il n'est rien que le vieillissement ne démolisse ou n'ébranle. Mais il ne peut rien contre ce que la sagesse a consacré : aucun âge ne l'abolira, aucun âge ne l'affaiblira. L'une après l'autre, les générations sans cesse apporteront un tribut à son culte, car, si l'envie porte sur ce qui est proche, nous admirons sans réserve ce qui est placé au loin. 5. La vie du sage s'ouvre donc largement : il n'a pas pour clôture la même borne que les autres. Seul, il est affranchi des lois du genre humain, tous les siècles lui sont soumis comme à Dieu. Le temps, est-il passé ? Il s'en saisit par le souvenir. Présent ? Il en fait usage. A venir ? Il l'anticipe. La réunion de tous les temps en un seul lui fait une longue vie.

Sénèque, De la brièveté de la vie, chapitre XV

XV -4.
Chemin de l'éternité : éternité de la sagesse, de la pensée qui ne disparaît pas et irrigue la tradition.
Personne n'est précipité : celui qui a atteint un sommet ne peut que redescendre, et la chute du haut de la roche n'est pas loin de la gloire. Il ne s'agit pas de prolonger la condition mortelle mais de la dépasser dans une production spirituelle: la pensée des grands maîtres de la sagesse se perpétue et ne meurt pas. En se joignant à leur coeur, on participe à leur immortalité. Alors que toutes les autres aventures humaines s'effondrent inexorablement, le temps et la vieillesse ne peuvent rien contre la sagesse.

XV -5.
Il s'agit donc de corriger le rapport de l'homme à la temporalité et de lui permettre d'échapper, autant que faire se peut, aux lois du devenir qui le ligotent.
Le passé n'est plus le tombeau de ce qui est perdu, la source des regrets et des remords, mais il est, pour ainsi dire, convoqué pour éclairer et épaissir le maintenant en l'auréolant de la joie qui accompagne toute compréhension et toute création.
Le présent n'est plus ce qui disparaît et fuit sans cesse, une figure du plaisir et de la mort, c'est le lieu de la liberté, du bonheur car il dépend de nous.
L'avenir n'est plus source de crainte ou d'angoisse parce qu'il est anticipé dans et par le présent, ce qui l'illumine de l'espérance ... Le présent du futur.
Ainsi toutes les ekstases du temps sont réunies par l'existence que la pensée enrichit: elles ne font plus qu'un pour le sage qui échappe alors à la condition humaine et se met en marche vers la liberté.
Si le sage ne manque jamais de temps c'est qu'il le met à profit et transforme le maintenant qui dure en espace de liberté en s'appuyant sur les anciens et en réalisant un avenir lumineux.