Je vous propose
la traduction de José Kany-Turpin dans l'édition GF.
Flammarion n°12/44 (ce texte (Traduction François Rousseau) se
trouve dans l'édition Arléa, celle qui a été choisie par les
auteurs du programme officiel, page 132 à 134.
XV.
1. Aucun d'eux ne te forcera,
tous t'apprendront à mourir. Aucun
d'eux ne te fait perdre tes années,
chacun te donne les siennes. Avec eux,
jamais de conversation dangereuse, d'amitié
funeste, de déférence trop cher payée.
Tu retireras d'eux tout ce que tu voudras : il ne
tiendra qu'à toi de puiser largement, autant que tu
pourras. 2. Quelle félicité, quelle
belle vieillesse attendent celui qui s'est mis sous leur
patronage ! Il aura des amis avec qui délibérer
sur les plus grandes comme sur les plus petites choses,
qu'il pourra consulter tous les jours sur lui-même,
de qui il entendra la vérité sans outrage
et la louange sans flatterie, à la
ressemblance desquels il pourra se façonner.
3. Nous avons coutume de dire qu'il ne
fut pas en notre pouvoir de choisir nos parents, le
hasard nous les avant donnés ; mais il nous est permis
de naître à notre gré. Il y a des familles de nobles
génies choisis celle où tu veux être
admis. Par adoption, tu ne recevras pas seulement leur
nom, mais leurs biens eux-mêmes que tu n'auras pas à défendre
en avare, de manière abjecte : ils s'accroîtront
d'autant plus que tu les partageras avec plus de
personnes. 4. Ces génies t'ouvriront
le chemin de l'éternité. Ils t'élèveront à une
place d'où personne n'est précipité : voilà le seul
moyen de prolonger la condition mortelle, bien plus, de
la convertir en immortalité. Les honneurs, les
monuments, tout ce que l'ambition a commandé par ses décrets
ou construit par ses efforts, s'écroule bien vite. Il
n'est rien que le vieillissement ne démolisse ou n'ébranle.
Mais il ne peut rien contre ce que la sagesse a consacré
: aucun âge ne l'abolira, aucun âge ne l'affaiblira.
L'une après l'autre, les générations sans cesse
apporteront un tribut à son culte, car, si l'envie
porte sur ce qui est proche, nous admirons sans réserve
ce qui est placé au loin. 5. La vie du
sage s'ouvre donc largement : il n'a pas pour clôture
la même borne ' que les autres. Seul, il est affranchi
des lois du genre humain, tous les siècles lui sont
soumis comme à Dieu. Le temps, est-il passé ? Il s'en
saisit par le souvenir. Présent ? Il en fait usage. A
venir ? Il l'anticipe. La réunion de tous les temps en
un seul lui fait une longue vie.
Sénèque,
De la brièveté de la vie, chapitre XV
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XV.
1.
Parce
que, un contraire éclaire l'autre, Sénèque oppose la sagesse
des anciens à la folie des contemporains. Il accumule les
oppositions qui sont toutes à l'avantage de la fréquentation
des anciens maîtres de sagesse... pour peu qu'on se place sur
le plan de la spiritualité pure. Dès le début, le thème est
celui de la violence et des dangers que les contemporains
courent et font courir. Il faut savoir que lorsqu'on décidait
la mort de quelqu'un, on faisait bonne mesure en faisant
disparaître tous ses amis pour éviter les vengeance.
Forcera = utiliser la violence pour te faire
mourir, par exemple t'enverra l'ordre de te
"suicider"; ce qui arrivera à Sénèque.
Apprendront : puisque la mort est inéluctable,
les anciens maîtres de sagesse t'apprendront à bien mourir
avec courage et confiance puisque tout est bien. Tu accepteras
l'ordre de l'univers comme les stoïciens, mais
ce n'est qu'un exemple car dans ce texte et dans le traité, Sénèque
parle en général et non plus du stoïcisme en particulier.
Perdre tes années : dilapider, c'est user
immodérément de son temps et par conséquent, faire perdre le
temps des autres.
Donne les siennes : t'apporte le fruit de leurs
loisirs studieux.
Conversation dangereuse : car tu risques d'être
mal compris, jalousé, écouté, dénoncé ou de finir par un
emportement devant la bêtise d'un contemporain trop intéressé.
Amitié funeste : d'une part tous les ennemis
de ton ami deviennent tes ennemis, d'autre part en te nuisant,
on s'imaginera nuire à tes amis!
Déférence trop cher payée : parce que d'une
part tu t'abaisses et tu t'éloignes de la vertu, et que d'autre
part celui que tu flattes attendra toujours plus de toi et en
particulier que tu ne t'éloignes pas, tu y perds la liberté.
Notez le rythme (retour de eux) qui
imprime, pour ainsi dire, la référence aux sages, ceux qui ont
fondés de vénérables doctrines.
XV. 2.
Délibérer
: c'est débattre, peser le pour et le contre avant de prononcer
un jugement à propos d'un sujet, d'une question et d'un problème,
de ce qui préoccupe les philosophes: non point ce qui porte sur
le simplement utile, la générosité restreinte, mais sur ce
qui concerne tout ce qui importe vraiment, tout ce qui est
vraiment utile.
Sur lui même : en ce qui le concerne, sur sa
propre manière de réagir aux événements par exemple.
La vérité sans outrage : la vérité est
d'autant facile à supporter qu'on la trouve par un discours intérieur
à l'occasion d'une lecture. IL n'y a pas la honte de voir le
regard ou le sourire d'un autre. On ne se vexe pas, on ne se
sent pas outragé.
La louange : Parce qu'elle est issue de gens désintéressés
(morts), la louange sera sincère, pure de toute flagornerie intéressée.
Se façonner : se modeler en le prenant pour
modèle comme on prend pour modèle ses parents biologiques
lorsqu'on les admire ou des parents qu'on se choisit dans
l'histoire: par exemple Pierre et Marie Curie.
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