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PHILOSOPHIE - CLASSES PREPAS par J. Llapasset

La recherche du bonheur

  • Sénèque : (4 av. J-C à 65 après J-C)
     

    Sénèque: sur La brièveté de la vie - sur La vie heureuse
    Sénèque: De brevitate vitae - De vita beata

XVI. 3: Réponse à deux objections.

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Première objection "La vertu suffirait à vivre heureux?"

- Si la vertu suffisait à assurer une vie heureuse, cela se saurait ! Notez le conditionnel "suffirait" qui marque le doute et l'ahurissement comme si toute réalité vécue ne démentait pas sans cesse l'affirmation. Peut-on imaginer Job heureux sur son tas de fumier? "Suffire", en effet, c'est n'avoir besoin de rien, avoir tout pour assurer la vie heureuse, n'avoir besoin de rien d'autre que de soi. Si bien que le simple exercice de la vertu reviendrait à poser la vie heureuse d'une existence indépendamment de la bonne heure, de la Fortune.

- La réponse de Sénèque ne manque pas de rigueur argumentative. Il accorde tout à la théorie (vertu = vie heureuse) et justifie pourtant le recours à la fortune. Comment cela?
"Si" (= puisqu'il en est ainsi, si on admet que= c'est le début d'un raisonnement hypothético-déductif); donc, à la condition que la vertu soit elle même c'est à dire parfaite et divine, alors elle suffira à produire la vie heureuse. Mais, ce ne peut être le cas pour un être en marche vers elle qui aspire à la vertu comme liberté, qui ne l'a pas atteinte, qui reste à distance. Par là Sénèque dont nous connaissons l'art de la transition ouvre la voie au "mais" qui lui permet d'échapper à la contradiction dans laquelle les chiens envieux cherchent à l'enfermer: "Sénèque, vous prônez la vertu comme suffisante et votre vie n'est pas en accord avec votre pensée!".

- Pas encore en accord répond Sénèque car, étant sur la voie de la sagesse, n'étant pas encore sage, ce que la marche vers la sagesse nous donne n'est pas la liberté de la vertu mais un air de liberté qui ne suffit pas: comment une ombre ou une image pourrait-elle nous donner la réalité de la fécondité du modèle représenté?

Et ce que le modèle apporte effectivement aux êtres divins qui, dans la perfection, possèdent en eux la vertu et le bonheur, n'est pas encore pour les pèlerins de la vie humaine. Ainsi, il n'est pas contradictoire d'affirmer que la vertu parfaite suffit et ... que pour celui qui ne la possède pas elle ne saurait apporter la vie heureuse qu'elle apporte.
La vertu parfaite implique non seulement que l'on ne manque de rien (absence de désir et de passion) mais encore que l'on s'en tient aux biens spirituels intérieurs que l'on porte en soi sans besoin d'aucun bien extérieur ce qui ne peut être que le lot d'un être bienheureux et immortel, une divinité.

- Tendre à: c'est ne pas posséder, au sens de ne pas avoir atteint, et de se diriger vers.
En attendant d'avoir atteint la vertu, d'être délié après la mort, comme par une récompense, du désir et du besoin, de l'emprise des passions et des besoins qui semblent concourir à l'aliénation de l'homme, force est de tenir compte des conditions dans lesquelles s'effectue la campagne militaire pour la vertu et contre le mal: "affaires humaines" lourdes des vices, des cris et des chuchotements, de la violence et de l'hypocrisie, sont le milieu dans lequel baignent les choses humaines. Celui qui ne s'appuierait pas sur la fortune et de la saisirait pas dans ses bonnes heures, disparaîtrait à la première tempête.

Deuxième objection "Quelle différence cela fait-il?"

- Quelle différence alors entre celui qui est sur la voie de la sagesse et ceux qui l'entourent comme les vagues d'une mer déchaînée? Ne sont-ils pas tous des enchaînés? 
Certes oui, mais l'un a commencé à se libérer, les autres ne savent même pas ce qu'est la liberté! Le premier, parce qu'il sait qu'il n'est pas encore un sage sait ce dont il manque et respire un air de liberté : ses chaînes sont de moins en moins pesantes.