Le
vrai bonheur ou la vraie félicité? Il ne peut y avoir
de faux bonheur. Cet état de satisfaction durable appartient au
dieu, vivant bienheureux et immortel. Le texte latin parle en
conséquence d'une félicité vraie (felicitas) pour la
distinguer de l'illusion d'être heureux, de cette "felicitas"
que Sénèque a souvent dénoncée.
Dire que "la vraie félicité est établie par la
vertu" (traduction Pellegrin, G/F Flammarion n° 1244) ce
n'est donc pas dire qu'elle est déductible de la vertu car si
la parfaite vertu suffit à rendre un dieu heureux, elle ne
suffit pas à rendre heureux un homme mortel attaché à un
corps. C'est dire qu'elle a pour fondement, pour condition nécessaire
la vertu tout en laissant la place à des conditions qui
paraissent comme autant de "préférables" à d'autres
conditions: par exemple, une honnête fortune vaut mieux que la
misère dans la mesure où la première permet l'exercice de la
vertu dans le loisir ou dans des libéralités profitables à
autrui.
Être
inébranlable. Ne pas se laisser décontenancer,
transformer, enchaîner par la fortune, par la bonne heure ou la
mauvaise heure, par ce qui arrive que ce soit une chance ou un
malheur. Être indifférent à ce sur quoi nous
n'avons pas de prise comme si cela ne nous concernait pas. Avoir
l'esprit de pauvreté: par exemple, je trouve un cheval, je le
chevauche sachant qu'il peut m'être enlevé à chaque instant:
cela revient à ne pas s'attacher à l'avoir ,
à ne pas être ébranlé par la bonne fortune ou par ses
revers, à l'image d'un dieu que rien ne saurait troubler. Vis
riche, dans l'esprit de pauvreté.
Offrir
l'image du divin. C'est de la vertu parfaite et divine
que la vraie félicité est déductible: le divin est donc le
modèle: la vie du sage ressemble à une peinture du modèle, à
une image, à un reflet. Pour exemple le dieu seul suffit, mais
dans la réalité d'un être raisonnable sensiblement affecté,
la déductibilité reste théorique comme un horizon. Être
l'image ce n'est pas être le modèle. Il s'agit non d'un
bonheur divin parfait mais simplement d'une vie la plus heureuse
possible (felicitas) au cours d'une marche vers un accroissement
de liberté. Mais "être comme libre" ce n'est pas
encore être pleinement libre. L'image n'est pas le modèle mais
simplement un reflet. De même suivre le divin ce n'est pas être
divin mais, dans une certaine mesure, participer à la divinité.
Un
problème que Sénèque ne veut pas se poser (et
pour cause...) mais que le lecteur ne manquera pas de se poser
en admirant l'habilité et la rigueur de Sénèque qui prépare
les dernières ligne du XVI: comment cette fortune qui permet le
plaisir des sens sera-t-elle dans la juste mesure pour rendre
possible le loisir et les libéralités sans pour cela aliéner
le possesseur, le rendre dépendant de ses bienfaiteurs (Néron!)
ou des biens accumulés et lui faire perdre cette participation
à la liberté nécessaire à l'exercice du loisir et de la
vertu? Sénèque n'est-il pas mort pour n'avoir pas résolu ce
problème?
Il reste que, par son intelligence du mouvement qui anime le XVI
la traduction de Pelleggrin, G/F Flammarion n°
1244, page 71, semble bien préférable aux autres traductions
qui écrasent le "felicitas" et par là la compréhension
de la suite du texte.
(On
pourra se reporter à ce qu'écrit Platon, à la fin du Livre VI
de La République sur l'image ou au commentaire incontournable
de Monique Dixsaut). |