La
liberté n'est invincible qu'autant quelle ne connaît rien
de plus précieux qu'elle: il serait donc
catastrophique de mettre sur le même plan,au même niveau, la
liberté et le plaisir.
Il est donc, en théorie, impossible
d'associer le plaisir et la vertu car cela reviendrait, en
mettant sur le même plan la liberté et le
plaisir de contaminer la pureté de l'une par la fragilité de
l'autre: De la recherche du plaisir, en effet, on ne peut
attendre que de l'inquiétude, des alarmes, des soupçons et une
extrême dépendance par rapport au hasard de la fortune et des
circonstances: incontestablement tout cela accompagne l'avoir
dont on attend la satisfaction des besoins et le
plaisir qui accompagne cette satisfaction.
Associer
la vertu au plaisir reviendrait à fonder la vertu sur des
sables mouvants, sur la mobilité du désir, sur son
inconstance qui tient à ce qu'il est attaché au devenir du
corps.
Le souverain bien ne peut donc être que dans
la vertu qui consiste à exercer sa liberté en
obéissant à la divinité comme aux institutions qui en émanent,
ce qui revient à supporter ce qui arrive sans se plaindre, à
faire toujours contre mauvaise fortune bon coeur.
Il s'agit de suivre Dieu (= le divin) sans se
laisser entraîner: obéir à Dieu comme dans un royaume on obéit
à son roi, supporter avec patience ce qui n'est pas en notre
pouvoir d'éviter.
Comme c'est la vertu qui élève progressivement vers la
liberté et le souverain bien, c'est dans la vertu
qu'est placé le vrai bonheur, d'où la première phrase du
texte.
(J'ai
choisi la traduction de Bréhier dans "La pléiade"
car la comparaison avec votre traduction de François
Rosso pourra vous éclairer sur le sens du texte latin) .
Le
bonheur véritable est donc placé dans la vertu.
Que nous conseillera- t-elle? De ne pas prendre pour un
bien ou pour un mal ce qui n'est fait ni par vertu ni
par méchanceté, puis de rester inébranlable en face
du mal et à la suite du bien pour, autant que cela nous
est permis, reproduire l'image de Dieu. Que te promet-on
en échange de cette entreprise? De grandes choses, et
égales à celles que possède la divinité: tu ne
subiras pas de contrainte, tu ne manqueras de rien, tu
seras libre et en sécurité; nul dommage ne
t'atteindra; tu ne tenteras rien en vain et tu ne
trouveras point d'obstacle; tout ira à ton gré; rien
n'arrivera qui te contrarie, qui soit contre ton opinion
et ta volonté. « Quoi donc? La vertu suffit pour vivre
heureux? » -Cette vertu parfaite et divine pourquoi ne
suffirait-elle pas, pourquoi même ne contiendrait-elle
point davantage? Que peut-il manquer en effet à celui
qui s'est placé en dehors de tout désir? En quoi
a-t-il besoin des choses extérieures celui qui a
rassemblé en lui-même tout ce qu'il possède?
Mais
l'homme qui se dirige vers la vertu, même s'il a fait
de grands progrès, ne peut pourtant se passer de la
complaisance de la fortune, car il est encore dans la
lutte au milieu des hommes tant qu'il n'a pas encore dénoué
ce nœud et tranché toute chaîne mortelle. En quoi
alors diffère-t-il des autres? Ceux-ci sont liés étroitement,
serrés, et même enchaînés; celui qui s'est avancé
vers les régions supérieures et s'est élevé plus
haut traîne une chaîne plus lâche, il n'est point
encore libre, pourtant il est déjà tenu pour libre.
Sénèque,
De la vie heureuse, XVI. Traduction Bréhier.
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