C'est
que non seulement la civilisation industrielle défigure la
nature mais encore cette même civilisation asservit et utilise
les hommes et le enfants par une rationalité d'une mécanique
dont l'expression la plus criante est la machine.
La
chaudière "crache",
projette sans égard, exprime son indifférence, le mépris de
ceux qui l'exploitent pour les ouvriers et les enfants et
d'abord le mépris de la nature dont les couleurs sont si belles
à l'aube du Boucan. La fumée exprime
la méchanceté: à la lettre, elle est méchante car elle fait
le mal rien que par cette exhalaison souillée de suie et,
pour ainsi dire, d'excréments. "Lourde"
suggère qu'elle se dépose en salissant le sol et "rousse"
indique qu'elle peint le ciel d'une couleur autre : enfin, elle "suffoque",
gène la respiration: elle s'attaque donc à la vie elle même.
Le bruit de la machine à vapeur remplace celui de la mer, viole
les têtes et ses "jets"
sont encore comparables à des jets de salive. La chaudière de
fonte, la cuve d'acier, sont comparées à une marmite qui préparerait
le repas d'un géant, d'un moloch. Le Géant est le recours à
un mythe qui permet d'expliquer le désastre d'une
techno-science orientée vers la transformation d'une nature
paradisiaque en un enfer créé par l'intelligence rationnelle
qui tourne le dos au raisonnable, au respect, et s'oppose aux
Noces de l'homme et de la nature (=> Camus), à l'enlacement
de l'homme et de la nature dirait plutôt Le Clézio.
Rouages, entraînements, cylindres, tout cela
relève du mécanisme. Appréciez mâchoires!
Outre la fumée crachée, il y a bien sûr la production: le
sucre qui ruisselle par terre où pend
lamentablement en "caillots",
métaphore significative, comme si les petites masses de sucre
figées, pétrifiées étaient en réalité le sang de la plante
coagulée. La grande cuve tourne sur elle même dans son ivresse
démoniaque, pour laisser couler par des "valves"
des vagues de sirop. Ne peut-on y voir la caricature d'un coeur
d'acier: les crachats de fumée, les ruisselets, les caillots,
les vagues de sirops sont accompagnés et comme rythmés du
"han" des ouvriers, des cris des enfants, du bruit et
de la chaleur du soleil indifférent.
Les
ouvriers servent la machine et lui offre en offrande
les fraîches cannes pour qu'elle
avale ce qu'ils "enfournent";
ils recommencent et repassent les cannes déjà broyées.
Ils "s'affairent": le terme
signifie qu'ils se montrent empressés, semble-il, à servir la
machine. Un peu plus bas dans le texte, leur activité est
qualifiée "d'agitation"
comme s'ils ne pouvaient rester en repos, comme s'ils ne
savaient pas attendre, comme si la fièvre les habitait et la
nervosité les secouait: tout cela manifeste un état
d'excitation, un manque de maîtrise, de cette liberté qu'ils
ont perdue.
Les
enfants: l'essaim des enfants participe à cet état
d'excitation comme s'ils étaient contaminés: eux aussi sont
parfaitement asservis au rythme des vagues, des productions de
la machine qui les maîtrise par la vue et par l'ouïe.
Alexis:
dans un premier moment, Alexis participe à cet asservissement,
mais non seulement le plaisir le déçoit, mais le bruit, le
sifflement, la fumée qui l'enveloppe, la chaleur et le goût du
sucre brûlé dérèglent ses sens. L'envie de vomir le saisit
comme envie de rejeter hors de lui ce qui, dans un premier
moment, est entré en lui par surprise: vomir pour retrouver sa
pureté et sa liberté.
S'il ferme les yeux c'est pour mieux se préserver de cet enfer
où les hommes et les enfants deviennent des éléments d'une mécanique
implacable, et sont parfaitement asservis comme les rouages
d'une machine. Asservissement d'autant plus dangereux
qu'ils sont persuadés, du moins les enfants, d'exercer leur
liberté. En réalité les hommes comme les enfants
sont enchaînés au rythme d'une mécanique, d'une chaudière
qui remplace leur coeur et leur liberté, dans un monde où tout
est octroyé pour que plus jamais ne naisse le creux d'un désir
et l'échappée d'une aventure.
Comment, seul contre tout cela, Alexis
ne sentirait-il passa faiblesse? Comment dans cet environnement
où rien ne lui rappelle la liberté, dans ce pays qui lui
ressemble si peu, comment ne serait-il pas perdu?
En fermant ses yeux, il rentre en lui même et des larmes
viennent exprimer sa peine et son désarroi.
Qui le ranimera à la vie? |