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PHILOSOPHIE - CLASSES PREPAS par J. Llapasset

La recherche du bonheur

Comprendre Le Clézio.   

La menace et le recours. L'enfer de la civilisation industrielle. (pages 20 et 21)

(Perspectives par Joseph Llapasset sur Le chercheur d'or)

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C'est que non seulement la civilisation industrielle défigure la nature mais encore cette même civilisation asservit et utilise les hommes et le enfants par une rationalité d'une mécanique dont l'expression la plus criante est la machine.

La chaudière "crache", projette sans égard, exprime son indifférence, le mépris de ceux qui l'exploitent  pour les ouvriers et les enfants et d'abord le mépris de la nature dont les couleurs sont si belles à l'aube du Boucan. La fumée exprime la méchanceté: à la lettre, elle est méchante car elle fait le mal rien que par  cette exhalaison souillée de suie et, pour ainsi dire, d'excréments. "Lourde" suggère qu'elle se dépose en salissant le sol et "rousse" indique qu'elle peint le ciel d'une couleur autre : enfin, elle "suffoque", gène la respiration: elle s'attaque donc à la vie elle même. 
Le bruit de la machine à vapeur remplace celui de la mer, viole les têtes et ses "jets" sont encore comparables à des jets de salive. La chaudière de fonte, la cuve d'acier, sont comparées à une marmite qui préparerait le repas d'un géant, d'un moloch. Le Géant est le recours à un mythe qui permet d'expliquer le désastre d'une techno-science orientée vers la transformation d'une nature paradisiaque en un enfer créé par l'intelligence rationnelle qui tourne le dos au raisonnable, au respect, et s'oppose aux Noces de l'homme et de la nature (=> Camus), à l'enlacement de l'homme et de la nature dirait plutôt Le Clézio.
Rouages, entraînements, cylindres, tout cela relève du mécanisme. Appréciez mâchoires! Outre la fumée crachée, il y a bien sûr la production: le sucre qui ruisselle par terre où pend lamentablement en "caillots", métaphore significative, comme si les petites masses de sucre figées, pétrifiées étaient en réalité le sang de la plante coagulée. La grande cuve tourne sur elle même dans son ivresse démoniaque, pour laisser couler par des "valves" des vagues de sirop. Ne peut-on y voir la caricature d'un coeur d'acier: les crachats de fumée, les ruisselets, les caillots, les vagues de sirops sont accompagnés et comme rythmés du "han" des ouvriers, des cris des enfants, du bruit et de la chaleur du soleil indifférent.

Les ouvriers servent la machine et lui offre en offrande les fraîches cannes pour qu'elle avale ce qu'ils "enfournent"; ils recommencent et repassent les cannes déjà broyées.
Ils "s'affairent": le terme signifie qu'ils se montrent empressés, semble-il, à servir la machine. Un peu plus bas dans le texte, leur activité est qualifiée "d'agitation" comme s'ils ne pouvaient rester en repos, comme s'ils ne savaient pas attendre, comme si la fièvre les habitait et la nervosité les secouait: tout cela manifeste un état d'excitation, un manque de maîtrise, de cette liberté qu'ils ont perdue.

Les enfants: l'essaim des enfants participe à cet état d'excitation comme s'ils étaient contaminés: eux aussi sont parfaitement asservis au rythme des vagues, des productions de la machine qui les maîtrise par la vue et par l'ouïe.

Alexis: dans un premier moment, Alexis participe à cet asservissement, mais non seulement le plaisir le déçoit, mais le bruit, le sifflement, la fumée qui l'enveloppe, la chaleur et le goût du sucre brûlé dérèglent ses sens. L'envie de vomir le saisit comme envie de rejeter hors de lui ce qui, dans un premier moment, est entré en lui par surprise: vomir pour retrouver sa pureté et sa liberté.
S'il ferme les yeux c'est pour mieux se préserver de cet enfer où les hommes et les enfants deviennent des éléments d'une mécanique implacable, et sont parfaitement asservis comme les rouages d'une machine. Asservissement d'autant plus dangereux qu'ils sont persuadés, du moins les enfants, d'exercer leur liberté. En réalité les hommes comme les enfants sont enchaînés au rythme d'une mécanique, d'une chaudière qui remplace leur coeur et leur liberté, dans un monde où tout est octroyé pour que plus jamais ne naisse le creux d'un désir et l'échappée d'une aventure.
Comment, seul contre tout cela, Alexis ne sentirait-il passa faiblesse? Comment dans cet environnement où rien ne lui rappelle la liberté, dans ce pays qui lui ressemble si peu, comment ne serait-il pas perdu? En fermant ses yeux, il rentre en lui même et des larmes viennent exprimer sa peine et son désarroi.
Qui le ranimera à la vie?