"Je
grimpe sur les maîtresses branches pour voir la mer ... La lune
glisse vers l'autre bout du ciel."
Pourquoi
"quand la lune est pleine" : parce qu'il s'agit de
mieux apercevoir, des branches maîtresses de l'arbre, "la
tache qui scintille" sous les "éclats de lumière"
jetés par la lune. Comme une vague ou un bateau, la lune
"roule" sur la mer des nuages. Elle disparaît pour réapparaître
un peu comme la passion et le bonheur qui l'accompagne succède
à la souffrance de la solitude, de la discontinuité.
Il y a une grande sympathie de chaque Élément avec le tout.
("vibrer" à l'unisson, au pays qui te ressemble comme
en témoigne les miroirs profonds).
"Je me glisse": remarquons la
parfaite maîtrise de soi, ce je Peux triomphal
qui anime le corps propre, le corps vivant, ce consentement de
tout l'être, cette résolution qui résume une plénitude de
l'ordre du sentiment comme un savoir primordial.
"Glisser", ici, c'est se déplacer d'un mouvement
continu, se "couler" dans lequel s'exprime l'accord
d'un je peux et d'un je veux, l'harmonie
heureuse d'un corps vivant, d'une nature et d'une liberté,
harmonie vécue, plus que connue dans l'extériorité d'une
regard transcendantal. C'est ce même accord du je peux et du je
veux dans leur négation qui permet de savoir rester sur
l'arbre, en dépit de la solitude, du froid, du vent, de la
fatigue. "Je ne veux pas retourner" ... "Je ne
peux pas retourner"... A l'entêtement de la mer correspond
l'attente inlassable d'Alexis. Ne voit-on pas déjà apparaître
que c'est dans la recherche même, dans cette liberté
qui maîtrise la fatigue, que se trouve le bonheur.
Serait-ce
que, dans la passion, dans l'épreuve de soi, se trouverait le
bonheur? Dans la souffrance qui est joie? Joie de s'éprouver
soi même, joie de se diriger soi même qu'éprouve la jeune
sentinelle "Debout devant un gouffre"?
Attendre pour entendre, pour entendre au sens de comprendre. Dès
lors entendre suffit parce que ce que l'ont voit n'apparaît que
grâce à la pensée: le mouvement dans son déploiement dans
lequel l'avenir va au passé en passant par le présent, ce que
seule une pensée peut saisir: il s'agit bien de prendre
ensemble, de comprendre. Percevoir, apercevoir n'existeraient
sans la médiation de l'esprit et c'est pour cela qu'Alexis
remarque: "...Dans ma tête je l'entends mieux".
Qu'est-ce qu'il entend? Qu'est-ce qu'il voit?
Un grondement c'est à dire un son menaçant émis
par un animal contrarié. Ce grondement qui jaillit d'un être
divisé par les récifs: ce qu'il entend,effectivement, lui
permet de mieux voir que les vagues sont divisées par les récifs
et de comprendre l'origine du grondement, ou ce qui le motive.
Ainsi
ce qu'il entend, il le comprend, de même qu'il comprend ce
qu'il voit: les vagues s'unissent pour déferler
sur le rivage dans un mouvement de puissance heureuse et de
continuité qui se substitue à la discontinuité qui, elle, était
subie, comme si ce qu'il voit si bien n'était qu'une
figure du bonheur, du fabuleux bonheur éprouvé dans le matin
d'une passion, ce sentiment d'une continuité enfin trouvée et
qu'il faut maintenir quitte à recommencer sans cesse.
"On
sait qu'on doit rester, qu'on va enfin savoir quelque chose."
Noter le passage du je au on doit,
car il n'y a de devoir qu'universel. Ainsi le je veux, le je
peux, sont couronnés par le on doit. La sentinelle sait bien
son devoir. Elle doit guetter, rester, re-garder c'est à dire
prendre la garde: elle veille pour "enfin savoir quelque
chose".
Mais quelque chose qui sera vraiment utile, qui importe
vraiment, bien au delà de l'avoir et du simplement utile.
Si Alexis le Conquérant retourne juste avant l'aube c'est que
l'aube marque la fin de la veille. |