° Rubrique Philo-prepas > La recherche du bonheur

PHILOSOPHIE - CLASSES PREPAS par J. Llapasset

La recherche du bonheur

Comprendre Le Clézio.  Pensée et recherche du bonheur: correspondances horizontales. (lignes 14 à 19) 

(Perspectives par Joseph Llapasset)

plage.jpg (5439 octets)

Site Philagora, tous droits réservés ©
_____________________________________________
 

 

"Je pense à elle" ... "Je l'entends, elle bouge, elle respire.

  Plein d'un désir (passion) qui ouvre l'avenir et le livre au calcul de la raison (je pense à), et du même coup à l'existence d'autrui (comme à une personne humaine), Alexis s'oriente vers ce qui n'est pas encore là, éprouve un manque qui s'identifie à son existence, est habité par le désir d'une présence qui concilierait le désir et la raison, la nature et la liberté, ce qui creuse en lui l'exigence d'un mouvement de sa pensée, puis de son corps pour combler l'absence qui maintenant le déchire: il pense donc au bonheur et à sa recherche: cette recherche, le paradis de l'enfance lui permet de l'effectuer, selon le rythme de la nuit et du jour, par un mouvement dans l'espace, vers cette mer qui, la nuit, fait la moitié du chemin.
Je pense à elle signifie: elle occupe ma pensée dans l'espérance que la mer sait comment concilier les transports de l'esprit et des sens, le secret du bonheur pour un être raisonnable sensiblement affecté.

En pensant à la mer comme à une personne humaine Alexis pense au bonheur, à l'amour de rencontre, à cette bonne heure qui surgit comme une chance, à volonté dans le jardin de l'enfance, comme si la correspondance était toujours offerte: ce qui lui permettrait (ce savoir) de suivre le désir dont il est plein (sans le comprendre, en saisir la signification et l'orientation), sans pour cela renier l'être raisonnable qui pense, qui calcule et qui veut suivre son devoir. Si aimer c'est vouloir le bien, nature et liberté sont-elles conciliées?

L'ordre du monde, et l'influence de la pleine lune, lui permet, même si cet ordre échappe à sa volonté, de prêter attention et de guetter le moment propice de la rencontre: quand la lune est pleine, pas avant. Le narrateur sait bien attendre, car l'impatience est l'ennemie du bonheur. Alexis, de son lit, cherche à percevoir l'arrivée de la mer: la nuit obscure est la nuit du mystère, de cette attention au rien et même à l'insignifiant, loin des distractions que la lumière aveuglante ferait miroiter de fausses splendeurs de fausses terreurs, de projets ou de soucis trop humains.
Il s'agit bien de percevoir, avec tous les sens en correspondances, une arrivée, entendre son mouvement pour le recevoir et laisser la mer pénétrer en soi au risque d'être converti ou d'être révélé à soi même.
Comme un vivant obstiné, voici que les vagues bondissent, s'élancent vers le ciel victorieusement en niant l'air par un saut, pour s'écrouler de toute leur masse; comme une aspiration à l'existence malgré tout, qui ne pourrait se réaliser, comme une inspiration qui se transformerait en soupir, le terrible devenant pitoyable; comme un effort toujours recommencé qui sait que le bonheur est dans la recherche du bonheur.

Quelle est cette chaudière par laquelle l'eau, la terre et le ciel résonnent dans une mystérieuse correspondance? Un coeur, ou une machine de plantation?

Si elle bouge et respire, elle est cette puissance  et cette  relation; c'est bien une personne humaine qui recherche le bonheur dans une conciliation, une correspondance qui se réalise grâce à la médiation d'un mouvement.
Assis sur son lit de camp Alexis s'est déjà livré à une contemplation par laquelle il rentre en contact avec les éléments matériels. Il suit l'approche de la mer par tous ses sens, il entend ses mouvements et par l'ouïe s'ouvre à leur correspondance, parce que tout vibre. On dit bien vibrer à l'unisson et, à cette condition, se chantent les transports de l'Esprit et des Sens (=> Baudelaire, Correspondances).