"Je
pense à elle" ... "Je l'entends, elle bouge, elle
respire. "
Plein
d'un désir (passion) qui ouvre l'avenir et le livre au calcul
de la raison (je pense à), et du même coup à
l'existence d'autrui (comme à une personne humaine),
Alexis s'oriente vers ce qui n'est pas encore là, éprouve un
manque qui s'identifie à son existence, est habité par le désir
d'une présence qui concilierait le désir et la raison, la
nature et la liberté, ce qui creuse en lui l'exigence d'un
mouvement de sa pensée, puis de son corps pour combler
l'absence qui maintenant le déchire: il pense donc au bonheur
et à sa recherche: cette recherche, le paradis de l'enfance lui
permet de l'effectuer, selon le rythme de la nuit et du jour,
par un mouvement dans l'espace, vers cette mer qui, la nuit,
fait la moitié du chemin.
Je pense à elle signifie: elle occupe ma pensée dans
l'espérance que la mer sait comment concilier les transports de
l'esprit et des sens, le secret du bonheur pour un être
raisonnable sensiblement affecté.
En
pensant à la mer comme à une personne humaine Alexis pense au
bonheur, à l'amour de rencontre, à cette bonne heure qui
surgit comme une chance, à volonté dans le jardin de
l'enfance, comme si la correspondance était toujours offerte:
ce qui lui permettrait (ce savoir) de suivre le
désir dont il est plein (sans le comprendre, en saisir
la signification et l'orientation), sans pour cela renier l'être
raisonnable qui pense, qui calcule et qui veut suivre son
devoir. Si aimer c'est vouloir le bien, nature et liberté
sont-elles conciliées?
L'ordre
du monde, et l'influence de la pleine lune, lui permet,
même si cet ordre échappe à sa volonté, de prêter attention
et de guetter le moment propice de la rencontre: quand la
lune est pleine, pas avant. Le narrateur sait bien
attendre, car l'impatience est l'ennemie du bonheur. Alexis, de
son lit, cherche à percevoir l'arrivée de la mer: la nuit
obscure est la nuit du mystère, de cette attention au rien et même
à l'insignifiant, loin des distractions que la lumière
aveuglante ferait miroiter de fausses splendeurs de fausses
terreurs, de projets ou de soucis trop humains.
Il s'agit bien de percevoir, avec tous les sens
en correspondances, une arrivée, entendre son mouvement pour le
recevoir et laisser la mer pénétrer en soi au risque d'être
converti ou d'être révélé à soi même.
Comme un vivant obstiné, voici que les vagues bondissent, s'élancent
vers le ciel victorieusement en niant l'air par un saut, pour s'écrouler
de toute leur masse; comme une aspiration à l'existence malgré
tout, qui ne pourrait se réaliser, comme une inspiration qui se
transformerait en soupir, le terrible devenant pitoyable; comme
un effort toujours recommencé qui sait que le bonheur est dans
la recherche du bonheur.
Quelle
est cette chaudière par laquelle
l'eau, la terre et le ciel résonnent dans une mystérieuse
correspondance? Un coeur, ou une machine de plantation?
Si
elle bouge et respire, elle est cette puissance
et cette relation; c'est bien une
personne humaine qui recherche le bonheur dans une conciliation,
une correspondance qui se réalise grâce à la médiation d'un
mouvement.
Assis sur son lit de camp Alexis s'est déjà livré à une
contemplation par laquelle il rentre en contact avec les éléments
matériels. Il suit l'approche de la mer par tous ses sens, il
entend ses mouvements et par l'ouïe s'ouvre à leur
correspondance, parce que tout vibre. On dit bien vibrer à
l'unisson et, à cette condition, se chantent les transports
de l'Esprit et des Sens (=> Baudelaire,
Correspondances). |