Toute
recherche du bonheur implique un manque éprouvé
devant ce qui semble donné: c'est que ce qui semble donné est
en réalité construit par un regard socialisé d'un être
surmené (cf. Le Paulinus de Sénèque), par des soucis
et des projets au point d'être aveuglé par une taie, une tâche
opaque de la cornée aveugle à cette profondeur qu'il y a sous
les apparences. C'est comme si un autre monde
primordial pouvait engendrer une sorte de métaphysique
fantastique, "existentiellement vécue". Encore
faut-il le rencontrer cet autre monde ...
Comprendre que la recherche du bonheur a pour propédeutique
incontournable ce désir qui refuse des cristallisations que
l'humanité traîne avec elle comme des boulets, un désir de plénitude
et de sens.
Tout
bonheur a pour caractéristique essentielle la plénitude.
Chez Le Clézio la contemplation devient donc
participation et célébration, non bien sûr adoration
idolâtre de ce que le projet et le souci valorisent de ce qui
est présenté faussement comme essentiel, de ce qui signifie
toujours socialement, mais célébration de l'insignifiant, de
ce qui est pauvre, de ce qui manque d'existence et qui appelle
le dire du poète pour être sauvé de son inexistence profonde.
Pour
sortir de la solitude dans laquelle nous enferme la tâche
aveugle, il faut et il suffit de vivre avec le monde au point de
"sentir l'espace entrer en soi".
Le bonheur sera dans la plénitude de ce contact qui suit la
vague courant selon son destin, le crépitement du soleil ou
encore la simple et humble errance d'une fourmi ... Il s'agit
bien de se laisser porter par ce monde, sans jamais oublier la
mission dont il nous investit: par la parole et le chant, sauver
la nature en lui permettant de devenir ce qu'elle est, de
s'achever, d'aboutir à elle même pour ainsi dire.
La
recherche du bonheur aboutit donc à la plénitude d'une extase
matérielle: tout ce qui est donné doit être repris: la
contemplation n'est plus une passion, mais participation
active. A quoi? Mais au sens puisque cette
participation témoigne de l'essentiel: Les noces,
comme contact entre les éléments matériels et un dire qui les
sauve.
Et la porte qui ouvre la voie royale de la recherche d'un
fabuleux trésor, du bonheur, c'est d'abord l'étonnement.
L'étonnement n'est-il pas calcul déçu, oeuvre de l'esprit?
C'est lui qui lance l'imagination créatrice, qui en déclenchant
l'inquiétude pousse à la recherche. Chercher un autre monde
c'est prier et parier devant la profondeur d'une nappe phréatique
sous toutes les apparences, la profondeur d'un autre monde.
La recherche du bonheur s'accompagne alors d'émerveillement:
cet émerveillement qui emplit l'oeuvre de Le Clézio comme
celle de Ponge.
La recherche du bonheur tourne alors autour de l'appréhension
et de la célébration d'un mystère: l'essentiel tient
radicalement à l'insignifiant.
Oui,
il est temps de rejoindre l'Association pour la décristallisation
de l'humanité que Dali avait fondée!
La recherche du bonheur aspire à trouver un sens là même où
il semble que le ciel ne veuille pas des hommes:
"C'est dur à dire mais il devrait y avoir un Dieu."
Le déluge, page 260 |