Plusieurs
années, mais une vingtaine de pages à peine. Du
malheur, il n'y a pas grand chose à raconter, sinon les rêves,
le fol espoir qui maudit le présent. Comme si on était dans un
cercle, dans la monotonie, en enfer.
D'ailleurs le présent du bonheur ou de la recherche du
bonheur a disparu: c'est le temps du malheur qui s'étire
à l'imparfait, constate au passé
composé, avec quelques ruptures soulignées par
le passé simple: mais quelle rupture! "Notre
père mourut" (page 112). "Ce fut la place
que mon père avait occupée" (page 113).
Si
la vie n'existe pas loin de la mer, il s'agit bien de
fuir le présent dans l'évocation de l'Eden perdu avec Laure et
surtout dans le rêve des conquêtes futures ,avec le Corsaire.
C'est à la fin du chapitre, le Capitaine Bradmer qui fait
ressurgir le présent et replonge Alexis dans la recherche du
bonheur, comme un Dieu qui donne sa grâce:
"Quand partons-nous?" (Folio, page 118). Le
voilà relancé dans la quête d'un trésor sans fin.
C'est
parce que la quête est sans fin, c'est à ce prix que la
recherche du bonheur sera du même coup bonheur éprouvé
durablement: dignité d'une fin en soi.
Projetons-nous à la page 373: "Sur la plage noire, je
marche ... et je n'ai plus rien." Plus rien que ma
liberté et, ma seule dignité. Bonheur d'être libre, la tête
haute, dans la dignité de celui qui n'attend ni remerciements
ni récompenses parce qu'il n'a que faire de l'avoir qui
aliène: "La mer où on est libre" lui
suffira.
Cependant
cette vingtaine de pages qui résume, comme à la hâte, le
malheur, nous en apprend beaucoup sur les conditions de la
recherche du bonheur: cette bonne heure dépend certes de la détermination
d'Alexis à rompre les amarres mais aussi des circonstances
du hasard d'une rencontre ou si l'on préfère d'une grâce
divine. C'est parce qu'il dépend des circonstances que le
bonheur est souvent regardé comme une chance,
comme un effet du hasard: de fait, la mort de son père et la
pauvreté l'obligent à prendre la place qu'occupait le défunt
et ... le lieu de son travail, au bord de la mer, le plonge dans
un port où frémissent les navires comma autant d'invitation au
rêve puis au voyage.
Mais
le hasard ne favorise que ceux qui se sont préparés, qui ont rêvé
et c'est précisément ce qu'Alexis a "fait"
dans son collège par ses lectures et dans la pauvre demeure de Forest
Side, au cours de conversations enflammées avec son père
et avec sa soeur Laure.
Le
déplacement quotidien vers le port Rempart Street
ouvre les portes de sa liberté, sa conscience n'est plus occupée
que par la besogne à accomplir ( le devoir) et la mer ( la
liberté). "Mais il y avait les bateaux"
(page 114), sonne comme un cri et un rappel à sa vocation.
Heureux, il l'est déjà. Rien qu'à voir un bateau s'éloigner
vers le large! (page116).
"Alors j'ai eu le sentiment de rompre les liens qui
m'unissaient à Laure et à Mam" (page 113). Tout est
dit. Il faut saisir la chance , être un voyageur sans bagages
(impedimenta).
Le bateau doit bien d'une manière ou d'une autre rompre les
amarres sous peine de pourrir dans le port, dans la fournaise,
dans l'aliénation au simplement utile qui permet d'aller chaque
jour au restaurant, oui, mais pas de savourer sa liberté en dégustant,
parfois, une orange du Cap, "Assis sur un muret à
l'ombre d'un arbre en regardant les paysannes indiennes revenir
du marché" (page 114).
Joseph
Llapasset Site
Philagora, tous droits réservés © |