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PHILOSOPHIE - CLASSES PREPAS par J. Llapasset

La recherche du bonheur

Dualité et amour, au risque de tout perdre. 

  • Le chercheur d’or (Jean Marie Le Clézio) 
    La vie heureuse suivie de La brièveté de la vie (Sénèque) - (Traduction de François Rosso - Editions Arléa).
    Oncle Vania (Anton Tchékhov) (Traduction d’André Markowicz et Françoise Morvan - Editions Actes Sud Babel). 

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Il faut entendre par amour la reprise du désir par une volonté. Si l'individu s'investit totalement dans la recherche c'est qu'il relie amour et bonheur: le bonheur pour un être de désir, traversé par le désir, ne peut être qu'un bonheur partagé avec autrui, le bonheur de désirer et d'être désiré.
Mais si le bonheur ne peut se concevoir sans l'expansion d'une liberté comment exercer cette liberté en même temps que la liberté d'autrui? D'autant plus qu'ici la dualité peut toujours être rompue parce qu'elle est externe et qu'une séparation peut toujours se produire. En voulant le bonheur d'autrui, on veut sa liberté et par là on laisse la possibilité d'une rupture.
Or il n'y a pas de bonheur durable dans une solitude choisie et encore moins dans une solitude imposée.

L'amour peut n'être qu'une figure de la poursuite de l'avoir, la recherche du bonheur peut être la recherche de l'or. On se regarde, dans le couple, pour se fixer mutuellement: à trop se regarder, on finit par confondre le sujet et l'objet, l'amour et la passion au risque d'être écorché quand se révèle la liberté de l'autre, si différent de ce qu'on  avait cru dans le premier étonnement du coup de foudre.
Il semble alors que la recherche du bonheur, d'un bonheur partagé, implique que l'on soit deux, différents, et que l'on regarde dans la même direction. A cette condition l'amour peut réunir dans un projet commun sans porter en lui le germe de l'aliénation, sans que l'un ou l'autre ne doive se sacrifier en renonçant à sa liberté. Il s'agit de trouver une médiation, celle d'un projet et non pas un compromis mou où aucun ne se retrouve. Que serait en effet un amour entre deux personnes, fins en soi, pour qui  la recherche du bonheur ne peut être être qu'expansion de la liberté, dans l'enfer des compromis?

Chez Le Clezio la recherche du bonheur n'est possible que si l'erreur première (chercher un trésor) est rectifiée: c'est dire que l'amour exige une purification, purification voulue par Ouma. La recherche de la possession porte en elle le germe d'un attentat à l'existence de l'autre, un autruicide.
"Autrefois je ne savais pas ce que je cherchais, qui je cherchais. J'étais alors pris dans un leurre. Aujourd'hui je suis libéré d'un poids. Je peux vivre libre, respirer." (page 336)

Avec les personnages de Tchékhov, on ne dépasse pas le stade du simple désir,  désir réduit au plaisir passager (Astrov), ou pénétré de l'illusion qui confond le bonheur et l'avoir: "Est-ce que je peux vous regarder autrement?" dit Vania (Oncle Vania, page 30). Autrement que par un regard habité par le démon de la destruction qui transforme le sujet en objet et qui croit qu'en le possédant il possèdera le bonheur.

Pour Sénèque on ne doit chercher que ce qui ne peut être donné: le plaisir comme satisfaction d'un besoin et certainement pas le tourment des opinions qui est passion. En effet, demander au plaisir plus qu'il ne peut donner c'est chercher le malheur, c'est lui demander l'impossible: le plaisir étant déraisonnable, il ne saurait donc donner le bonheur. Dans l'amour passion, de plus, on perd la vertu et le bonheur, on reçoit en échange ce qui est toujours en mouvement, ce qui échappe sans cesse. La recherche du bonheur se perd alors dans l'opinion, dans le leurre. Reste que, l'opinion dépendant de nous, il nous appartient de lui échapper et de ne plus chercher le bonheur dans la passion .

Oui, l'amour au risque de se perdre, c'est à dire de réduire l'objet à un vide, à l'absence du sujet que l'on poursuit en lui demandant une reconnaissance qu'il ne pourra plus donner parce qu'il est nié, en le réduisant à un creux, à un rien qui ne mérite pas qu'on s'y attarde. Lorsque Elena, dans un sursaut, dans une révolte, fait sauter les opinions, les fantasmes qui la recouvrent pour ainsi dire, on peut se demander si elle se dévoile ou si elle se fait disparaître comme inconsistante. (Oncle Vania, page 29). Un vide accompagné d'un professeur qui se contente de transvaser du vide dans du vide, "qui fait rien que remuer du vent." (Oncle Vania, page 17).
La recherche du bonheur dans et par l'amour se perd donc dans le leurre de la passion ou dans le vide de liberté, puisqu'on a transformé le sujet en objet.
Serait-ce que le vent suffirait aux êtres épris de liberté? (Le chercheur d'or, page 216).
Mais si la nature suffit aux cervelles d'oiseaux, elle ne saurait suffire à l'homme qui porte en lui l'infini: pour lui fuir l'infini c'est se mettre en enfer