La
voie positive. A
la recherche de quelque chose ...
Pour
chercher et, à plus forte raison pour rechercher le
bonheur, il faut bien savoir quelque chose de ce que
l'on cherche, pour nous orienter, pour dire: ce n'est pas ça;
et ce quelque chose peut être une image comme forme sensible
d'une idée, un concept comme ce avec quoi le sensible est
capturé, défini, une idée ou au moins une certaine expérience.
Sans cela, comment le chercher? Que pouvons-nous poser du
bonheur?
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Or
nous n'avons ni une image du bonheur, ni un concept. Certes,
nous croyons rencontrer le bonheur, comme une bonne heure, une
chance, lorsque le hasard semble nous favoriser et nous
permettre de posséder quelque chose qu'il nous présente. Le
bonheur, nous croyons le voir en face de nous, au bout de notre
regard, dans l'extériorité comme on voit un objet dont on a
une image, alors qu'en réalité nous ne rencontrons que l'objet
d'un désir qui nous pousse à croire que les circonstances nous
favorisent alors que c'est nous qui valorisons l'objet rencontré,
qui le faisons se refléter en nous comme simple image d'un
objet susceptible de nous procurer le bonheur: de l'or, de
l'argent, un corps charmant dont la grâce semble se mouvoir
vers nous alors même qu'il reste immobile.
Dans La princesse de Clèves de Madame de Lafayette, le
Prince de Clèves voit la très jeune et très jolie
Mademoiselle de Chartres chez un joaillier et il a la certitude
que ce qu'il voit ne peut que lui procurer le bonheur au point
de le confondre avec le bonheur: le plaisir, (la nature), dans
le mariage, ( le devoir), désir et raison pleinement réconciliés
comme si le feu pouvait animer l'eau! Mais quelles que soient le
charme de la jeune fille et ses qualités, sa valeur morale,
elles ne sauraient être représentées comme image du bonheur
dans le regard du Prince.
D'abord, parce que les qualités morales ne voient pas, ensuite
parce que le bonheur est inaccessible au regard d'autrui.
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Cet
état de satisfaction ne peut être que de l'ordre du sentiment,
de l'intériorité, d'une subjectivité, il ne peut être
confondu avec un objet placé dans l'extériorité susceptible
d'être la source d'une image, "au bout" d'un regard
intentionnel. Le plaisir de monsieur de Clèves ne sera jamais
un plaisir partagé et cela suffira à provoquer son malheur même
s'il obtient et possède la main de la jeune fille: quelle que
soit par ailleurs l'estime que lui porte son épouse, peut-être
en raison de cette estime qui la rend encore plus désirable
comme ces êtres de fuite que nous aimons parce qu'ils sont
toujours ailleurs dans leur royale liberté qui ne les quitte
jamais, et qui ne quitte jamais la jeune princesse jusques dans
l'exécution du devoir conjugal, au désespoir de son mari.
A quoi servent dès lors ces images miroitantes d'or et d'argent
sinon à nous leurrer, nous égarer, nous peindre un impossible
repos, l'arrêt de notre marche dans l'avoir alors que la liberté
exige toujours de s'en aller: s'en aller, cette "parole
de vivant" dont parle
Saint-John Perse, dans Exil.
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Relisons
les dernières pages de "Le chercheur d'or",
(le Corsaire a détruit lui même ce qu'il a créé avant que
cela ne l'englue). "Le Corsaire a tout détruit, tout
jeté à la mer ... pour être enfin libre." et le
narrateur d'ajouter: "Sur la plage noire je marche ...
et je n'ai plus rien." (page 379).
En brûlant "les pages du trésor" ne
vient-il pas de se libérer des images de ce qui l'aliénait?
Parce
que nous n'avons pas d'image du bonheur, parce que ce que nous
croyons être des images du bonheur ne sont que des leurres,
nous savons maintenant que le bonheur ne peut être dans l'avoir
d'un objet fût-ce de l'or. Ce qui revient à dire que le
bonheur ne se rencontre pas et que la bonne heure c'est peut être
celle où nous comprenons une fois pour toutes qu'il n'est pas
au bout d'un trou de lumière quelle que soit sa splendeur, mais
qu'il est dans la liberté c'est à dire dans la dignité au
fondement de la conscience de soi.
N'ayant pas d'image du bonheur nous ne pouvons en avoir un
concept: sans intuition sensible, un concept est aveugle ce qui
signifie que nous ne pouvons ni le rencontrer, ni le déterminer. |