Comment
faire du temps destructeur un bien propre, comment le faire
sien? La réappropriation du temps dans le chercheur d'or.
Le
Clézio, dans L'extase Matérielle (page 194), répondait:
"En arrachant tout ce qui existe au présent qui
s'enfuit, en le dénommant à jamais."
C'était dire qu'il fallait commencer par l'atteindre;
mais comment atteindre ce qui est si ce qui existe est caché
par les sédimentations de la techno science?
- Par une attente qui devient une attention à
l'être: attendre avec une patience telle que, en oubliant ce
qu'on attend, on s'ouvre à ce qui existe, aux choses mêmes:
c'est la condition même pour accueillir le concret et donc
pouvoir le dire dans une métaphysique paradoxale qui ne quitte
jamais le sensible; il s'agit de vivre avec le monde qui aspire
à l'existence avant d'être englouti, d'entendre son appel,
de lui répondre comme on répond à une vocation avec en prime
le bonheur de parfaire le geste créateur, de faire pleinement
exister ce qui aspire à l'existence en l'arrachant à
l'enfoncement dans le tombeau du passé et en l'installant dans
le maintenant de l'écriture qui ne passe pas pour peu qu'elle
sache s'exhausser au chant et à la parole par le moyen du
rythme et du jeu des voyelles et des consonnes.
-
Alors, il est possible de préférer à la révolte
devant la violence du temps et la dureté du monde, l'émerveillement
de sauver les plus humbles créatures (les larves) en leur
reconnaissant une profondeur car leur apparence même participe
au vrai et au juste.
"A la surface du bassin courent les moustiques, les
araignées d'eau et le long des parois tressautent les larves
... Tout ce que je sens, tout ce que je vois alors me semble éternel"
(Folio, pages 22 et 23)
Si
tout cela disparaissait, si l'écriture ne le sauvait en
l'arrachant au présent qui s'enfuit, il ne tient qu'à nous que
la recherche du bonheur, elle, ne passe pas et que le temps
devienne pour nous une succession de maintenant où s'épanouit
le corps comme médiateur absolu, ce Je peux
qui marque la recherche du sceau de la liberté et d'un
accent d'éternité dans la mesure où le chercheur ne
renonce jamais à s'élever par la liberté.
Ainsi la réappropriation du temps passe par l'écoute comme
attention à l'éphémère, attention par le corps vivant,
attention à la vie. A la seule condition de rompre sans cesse
les amarres que la possession et l'avoir installent, quitter les
attaches du paquebot poussif qu'est le pragmatisme toujours
d'abord orienté vers le simplement utile au point de considérer
tout ce qui existe sans respect, comme un moyen ou un obstacle.
Il s'agit en fait de rompre avec la monotonie d'un mécanisme
monstrueux, d'une machine qui asservit l'homme et la nature au
rendement et qui, en vidant le temps de son contenu le défigure
en pourvoyeur d'ennui. |